Le regard que nous portons sur le syndicalisme est très marqué par nos propres références. La nature du syndicalisme, son histoire et ses modes d’action diffèrent grandement selon le courant auquel on se réfère. Il existe par exemple un fossé entre l’anarcho-syndicalisme révolutionnaire qui veut renverser « l’ordre établi » par la violence et le syndicalisme réformiste qui s’emploie à dépasser le conflit des logiques par des compromis dans le but de transformer la société. Les clichés sur le syndicalisme ne manquent pas, alimentés notamment par une histoire mouvementée depuis la Révolution industrielle – nous y reviendrons – et la médiatisation de conflits spectaculaires.
Des amalgames qui dénaturent
Il est notable que le libéralisme théologique et le syndicalisme subissent tous deux, en tant que mouvements de pensée et d’action, des amalgames qui les dénaturent. Ainsi, on associerait volontiers le libéralisme théologique au libéralisme économique et, tant qu’à faire, le plus dévoyé ; de la même façon, le syndicalisme serait assimilé à une organisation subversive de l’extrême-gauche politique et, tant qu’à faire, la plus violente.
Dans une perspective protestante et française, on peut rappeler que des théologiens que l’on qualifierait de libéraux ont participé à la création du Christianisme social au XIXe siècle. Albert Schweitzer écrivait : « S’unir à la volonté de Jésus, c’est vouloir changer le monde ». Le monde de la Révolution industrielle n’offrait pas les meilleures conditions pour entendre le message évangélique, pour le dire avec euphémisme. La misère sociale explosait après un exode rural qui avait déraciné des millions de travailleurs et éclaté le modèle qui prévalait dans les campagnes. Des pasteurs tels Tommy Fallot, Charles Wagner, Wilfred Monod, Élie Gounelle, souvent cités dans Évangile & liberté, se sont engagés en liant la nécessité de la justice sociale et une économie au service des hommes avec le témoignage évangélique.
Christianisme social et organisations syndicales
Il faut cependant reconnaître que le Christianisme social n’a pas conduit à un engagement au sein d’organisations syndicales et directement aux côtés des travailleurs, à leur poste de travail, en tout cas en France. Les causes sont multiples, enracinées dans l’histoire politique française. Toujours est-il qu’il y a eu là une occasion manquée d’une rencontre ou à tout le moins d’un débat interne au protestantisme libéral. Au risque de faire un raccourci, le protestantisme libéral a plutôt choisi finalement la diaconie en interne et l’économie sociale et solidaire dans la cité (par exemple Charles Gide, cf. Évangile & liberté décembre 2016 et p.4 de ce numéro).
Dans d’autres pays comme les États-Unis d’Amérique, il en va tout autrement. Prenons par exemple la campagne Fight for 15 conduite par une coalition d’organisations libérales. Le mot a en effet gardé son sens premier de ce côté-ci de l’Atlantique et c’est heureux ; on est obligé de le traduire en français, par progressiste, et c’est malheureux pour un œil libéral ! Dans cette coalition, on trouve notamment des Églises et des théologiens libéraux qui appellent les salariés des services, notamment de la restauration rapide, à user de la liberté de se syndiquer (à rejoindre une union) pour faire valoir leur droit à un salaire décent. C’était le chemin emprunté par Martin L. King dans les dernières années de sa vie, aux côtés des travailleurs de Chicago en lien avec les syndicats.
Un objectif commun de justice sociale
Le libéralisme théologique et le syndicalisme déconfessionnalisé peuvent donc se rejoindre, notamment dans l’objectif de justice sociale, dans la volonté d’émancipation des individus, dans la méthode de l’éducation populaire et de l’action collective, dans la critique des institutions. Le protestant libéral ne pourra s’empêcher d’interpeller sur le « risque de voir le désir de transformation politique, économique, culturelle de la société se muer en un combat exclusif oublieux de la dimension spirituelle de la foi1
1 Laurent Gagnebin, Raphaël Picon, Le protestantisme. La foi insoumise, Paris, Flammarion, 2007, p. 120 ».
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