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La laïcité, Une nécessaire vigilance

 

Au lendemain de la suppression de l’Observatoire de la laïcité en juin 2021, nous avons été un certain nombre « d’acteurs de la laïcité » à vouloir nous réunir pour assurer certaines missions que cette instance transpartisane assurait jusqu’alors.

Cela, d’autant plus que, comme nous l’écrivions dans une tribune dans le journal Le Monde, de nos jours, la laïcité est souvent manipulée, comme si elle devait − et pouvait à elle seule − résoudre tous les problèmes de la société. Elle devient alors une ressource parfois utilisée pour mener des combats idéologiques et politiques, jusqu’à diviser au lieu de rassembler.

Sous la IIIe République, Ferdinand Buisson en a donné, en 1883, sa première définition : « L’État neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique », cela afin d’assurer « l’égalité de tous les citoyens devant la loi », sans tenir compte de leurs croyances et pour garantir « la liberté de tous les cultes ».

Cette définition implique que le pouvoir politique ne se fonde sur aucune transcendance religieuse ou idéologique et que la puissance publique ne peut ni ne doit imposer un régime particulier de vérité. Elle doit, au contraire, adopter une posture d’arbitre qui, en exerçant sa neutralité active, assure la préservation de la liberté de conscience individuelle et la liberté de religion et de conviction collective.

L’autonomie de la loi civile à l’égard des normes religieuses en découle nécessairement, autorisant une liberté égale accordée aux religions et convictions et permettant que leur confrontation se fasse dans le respect mutuel garanti par l’ordre public démocratique.

Ainsi, la laïcité présente deux pôles en étroite interaction : la neutralité au niveau de l’État — qui découle du principe même de séparation des Églises et de l’État — ainsi que la liberté de conscience et d’expression — qui s’applique dans l’espace public et la société civile.

La mise en pratique des principes laïques ne s’est pas réalisée sans conflits internes au sein du camp républicain. Certains souhaitaient, en particulier, l’adoption de mesures qui auraient limité la liberté de conscience au profit des Églises ; d’autres, au contraire, voulaient privilégier celles qui auraient constitué des atteintes au libre exercice des cultes. Ni les unes ni les autres n’ont été retenues par le législateur de 1905.

Grâce à cet équilibre, la loi de 1905 concernant la séparation des Églises (au sens d’organisations religieuses, quelles qu’elles soient) et de l’État constitue, encore de nos jours, le pilier central du système laïque français. D’un point de vue politique, elle bénéficie toujours d’un très large consensus.

Malheureusement, certaines invocations actuelles témoignent d’une interprétation biaisée de ses principes. Diverses relectures, en rompant son équilibre savamment dosé, parfois même en se situant dans la lignée de ce qui avait pourtant été refusé par ses principaux architectes, Aristide Briand et Jean Jaurès au premier chef, menacent le consensus national nécessaire autour de la laïcité. La loi dite « Séparatisme » du 24 août (triste date) 2021, par son approche purement régalienne, contient le risque, à l’avenir, d’une transformation de la laïcité en nouveau gallicanisme. Prenons-y garde.

Au sein de la Vigie de la laïcité, il nous semble important, pour rappeler la teneur démocratique du projet laïque républicain, que s’exerce une veille active, et que soient données des informations fiables, ou encore des formations adéquates à la compréhension de ces principes. La vigilance doit éviter que la laïcité dévie de son cadre juridique éprouvé, et se coupe de la philosophie politique libérale contenue dans la loi de 1905 qui l’a toujours guidée.

Elle doit aussi permettre de continuer à mener une réflexion active sur les modalités, éventuellement nouvelles, de l’application de la laïcité face aux défis contemporains. Ce qui implique d’accorder toute leur place au débat et à l’exercice de l’esprit critique, afin de remédier à l’ignorance et d’éviter le détournement de ses fondements.

C’est donc plus précisément pour mener à bien cette triple tâche, la veille, la formation et l’information, qu’avec Jean-Louis Bianco (qui en est le président), Olivier Abel, Radia Bakkouch, Jean Baubérot, Dounia Bouzar, Nilüfer Göle, Stéphanie Hennette-Vauchez, Daniel Maximin, Philippe Portier, Jean-Marc Schiappa, Michel Wieviorka, Valentine Zuber, nous avons créé la Vigie de la laïcité, un organisme indépendant et citoyen, qui est à la disposition tant du grand public que des acteurs de terrain, des médias ou des responsables politiques.

Au plus loin du culte contemporain de l’immédiateté, du clash et de l’émotion, cette Vigie de la laïcité apporte, quotidiennement et auprès d’innombrables acteurs de terrain, une expertise citoyenne fondée sur la raison, la connaissance et le débat critique.

 

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À propos Nicolas Cadène

est rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre.

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