On a entendu le discours nous disant qu’il fallait dépasser les clivages gauche/ droite. Le parti actuellement au pouvoir se veut également comme le dépassement de cette bipolarisation de la politique. Mais force est de constater que si les partis traditionnels de droite ou de gauche qui depuis longtemps s’alternaient à la tête de l’État sont bien loin, aujourd’hui, de reprendre le pouvoir, les représentants des idées d’extrême droite, eux, ont le vent en poupe.
Depuis bientôt deux décennies, nous entendons parler de « lepénisation » des esprits, mais il semble bien que désormais le processus touche à sa fin et que ces idées jusque-là portées plus par contestation que par adhésion soient prédominantes dans les campagnes électorales. Certes, l’extrême droite à proprement parler ne représente qu’un tiers des intentions de vote, mais nous voyons bien que les idées débordent sur d’autres groupes traditionnels et s’invitent même dans la campagne. Preuve en est la place des thèmes autour de l’Islam et avec eux, ceux de la sécurité, de l’identité nationale où de l’immigration.
De longues années de lutte et de militance n’ont eu aucun effet. Alors faut-il continuer le combat et risquer d’entrer dans la même philosophie politique que ce que nous voulons combattre, en nous radicalisant autant que nos adversaires et devenant, dès lors, leur semblable ? Faut-il continuer le combat et s’abîmer dans l’épuisement, la lassitude et la déception et abandonner une militance qui ne sert à rien ? Ou faut-il attendre que le balancier des idées et des mœurs reparte dans l’autre sens quand il aura atteint son climax ?
Lire Paul Tillich pour penser le politique
Plutôt que de risquer de se perdre dans une lutte qui semble perdue d’avance, ne faudrait-il pas retrouver une posture prophétique ? Le prophète n’est pas tant celui qui connaît l’avenir ou qui lui aurait été révélé par Dieu que celui qui analyse, qui connaît son peuple et qui lui annonce une autre voie possible. Il est celui qui donne les clefs de compréhension et les pistes d’actions pour se libérer des pouvoirs qui le lient et l’enferment. Paul Tillich appelait ces pouvoirs « les pouvoirs des origines » et il en identifiait trois : le pouvoir du sol, celui du sang et celui du groupe social.
Le pouvoir du sol fait naître le sentiment national, celui du terroir et de la patrie. Perdre le sol équivaut à perdre son dieu et face à cette situation on se retrouve misérable, apatride, dépourvu de force. Le pouvoir du sang, lui, s’exprime de trois manières différentes : dans l’extase héroïque, où s’unissent la vie et la mort, le courage et la mélancolie. Ce sont ces trois aspects qui sont mis en avant par les groupes conservateurs. Il est un pouvoir puissant car il exalte en même temps un passé qui n’est plus, qui est regretté et un engagement qui peut sembler en contresens mais qui se veut le signe du courage d’un rétablissement. Enfin, le groupe social est ce pouvoir qui se fonde sur la règle ancestrale (une France chrétienne et blanche) qui vient de la lignée (français de souche). Le groupe porte l’individu, le protège, lui donne la règle à suivre et ainsi le rassure et le sécurise dans ses choix.
Une posture prophétique
L’enjeu aujourd’hui, c’est de rester dans un esprit prophétique, même si on est une minorité, même à n’être qu’un petit reste pour pouvoir relancer le balancier dans l’autre direction quand le temps sera venu. Il est nécessaire qu’il y ait encore un petit reste qui soit ressort pour un nouvel élan.
Finalement, ce petit reste, c’est devenir prophète. Le prophète qui annonce un idéal, qui ouvre la voie de la liberté face aux pouvoirs qui enferment, qui dénonce les faux dieux quand tout le monde les adore. Il permet un nouveau départ car, même seul contre tous, il garde ferme la parole qui viendra transformer et changer les choses. « Je ne suis pas de ceux qui croient que penser l’avenir c’est se livrer à une utopie. Se transporter […] d’avance dans un avenir même lointain, c’est déjà marcher vers cet avenir, il faut avoir rêvé longtemps à l’idéal pour pouvoir le réaliser un jour. » F. Buisson.
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