Justice, prospérité, bien-être pour tous : au mi-temps du siècle dernier, ces valeurs s’incarnaient dans ce que l’on désigne par le terme crypto-théologique d’« État Providence ». Depuis, nos gouvernants de tous bords ont plus ou moins tenté de nous convaincre que confier à l’État la mission d’assurer le bien-être du peuple était une illusion délétère. De cette illusion, le psaume 72 nous offre presque le paradigme.
La vocation idéale du Prince et de son pouvoir
Comme d’autres psaumes, le psaume 72 associe la justice, la prospérité et le bien-être commun à l’exercice du pouvoir. Il est attribué au roi David et au roi Salomon dont, au-delà de la réalité historique, les figures symbolisent la vocation de la politique et de ceux qui disposent du pouvoir d’y agir.
Comme d’autres psaumes, il met l’harmonie cosmique, dont Dieu assure la maintenance, en cohérence étroite avec le respect de la justice et du droit et avec l’accomplissement de la prospérité et du bien-être général. Ce règne, où se manifestent la « sagesse de Dieu et son projet éternel » est surtout l’objet de l’émerveillement du psalmiste, mais c’est aussi une vocation adressée au pouvoir d’y tendre dans la pratique.
Comme dans la tradition prophétique, le psalmiste fait dépendre la pérennité de l’harmonie projetée par Dieu dans le politique et le social du sort de « ceux qui ne sont rien ». De l’émerveillement à la critique, il n’y a qu’un pas : « Vous pouvez et vous ne faites pas, quand vous ne faites pas le contraire ! »
La patiente subversion du pouvoir de Dieu
On retrouve la même cohérence entre l’harmonie cosmique et l’exercice du pouvoir quand Paul tente de faire comprendre que Jésus est celui en qui le Dieu créateur et sauveur accomplit sa sagesse et son projet éternel. Le « mystère » dont il parle n’a rien de mystérieux : dans son histoire personnelle comme dans la nôtre, dans celle de notre humanité et de notre univers, Pâques est le point de l’espace-temps où le dynamisme créateur de Dieu inverse définitivement la tendance de notre monde à l’effondrement et au déclin.
Moment décisif du drame pascal, la croix est l’acte initial à partir duquel tout s’ordonne et se développe. Le mythe si commun du héros qui s’engage jusqu’à l’épuisement pour ouvrir une brèche dans la fatalité s’y accomplit, s’y réalise et s’y incarne.
Sur la croix, la sagesse et le projet éternel de Dieu ne s’accomplissent pas dans un déchaînement ultime de violence, mais par l’absorption patiente de la violence. Le règne de Dieu, avec ses promesses de justice, de prospérité et de bien-être, ne remplace pas par la force un monde qui n’en finit pas moins de chuter et de finir, il cohabite avec lui. Sur le mode d’une patiente et discrète subversion, il y développe progressivement son dynamisme créateur et sauveur.
Ce qu’a produit, produit et produira l’antique illusion
La science nous a appris que l’univers est une machine indifférente à nos désirs de justice, de prospérité et de bien-être. Il se pourrait même que ses progrès nous mènent à la catastrophe. Dans ces conditions, le drame de la passion, de la croix et de la résurrection n’est-t-il plus qu’un conte de bonne femme à enterrer au cimetière des illusions perdues ?
Pourtant, soumis aux seules forces de l’entropie, du déclin, de l’usure ou du vieillissement, l’univers aurait dû retourner au chaos ou au néant depuis longtemps. Il n’aurait même pas eu l’occasion d’en sortir.
Ce qui empêche notre monde de s’effondrer, le maintient et préside à son évolution, c’est un élan de générosité initial sans cesse renouvelé qui franchit toujours à nouveau les limites de l’épuisement pour faire advenir du bien, du bon, du beau et du juste. L’antique illusion n’a jamais cessé d’agir à travers celles et ceux qui persévèrent à l’incarner en politique et se soucient du sort de « ceux qui ne sont rien ». Elle est depuis et pour toujours à venir. .
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