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Laissez-nous parler

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Abigaïl Bassac

J’ai découvert la journaliste Masih Alinejad sur Twitter. Dans une vidéo qu’elle a postée, on la voyait montrant joyeusement des pas d’une danse iranienne sur une place New Yorkaise où un petit groupe de musique se produisait. Sa joie de danser, libre, les cheveux au vent, en robe, était émouvante : ce qui est une scène banale pour l’Européenne que je suis était une immense victoire pour elle, la preuve qu’elle avait pu conquérir une liberté qu’on lui avait délibérément refusée depuis son enfance. Lorsque j’ai lu que des femmes comme elles étaient sommées de ne rien dire de leur souffrance passée afin de ne pas générer de l’islamophobie, j’ai eu envie, comme elle le demande, de la laisser parler.

 A.B. : Quel était votre rapport à la religion lorsque vous étiez enfant en Iran ?

M.A. : J’ai grandi dans une famille musulmane traditionnelle et je suis allée à l’école où l’éducation religieuse joue un grand rôle. Dans la République islamique, on ne peut pas éviter la religion. Cela fait partie de la fabrique de la vie quotidienne, même si on ne le veut pas. En grandissant, je me suis rendu compte à quel point l’Islam mis en place en Iran était restrictif. En Iran, être musulman n’est pas un choix. C’est obligatoire. Le jour où vous naissez dans une famille musulmane, vous n’avez pas d’autre choix, et si en grandissant vous dites « je ne suis pas musulman », vous serez puni par la loi. Même pour les non-musulmans, respecter la Sharia est obligatoire et si vous ne respectez pas les lois islamiques en public (comme le port du hijab), vous serez fouetté et mis en prison.

Qu’est-ce que vous avez pensé quand vous avez découvert la liberté dont nous jouissons dans les pays occidentaux ?
— En Iran, je me dévoilais en secret, quand la police n’était pas dans les parages je savais être moi-même. J’ai d’abord découvert la liberté à Beyrouth, qui a été mon premier voyage à l’étranger. La première fois que j’ai enlevé mon hijab en public avec la police à proximité, j’avais peur d’être arrêtée. À chaque étape, lorsque j’ai testé une nouvelle liberté, j’avais peur d’être arrêtée. Même en tant que journaliste, je ne croyais pas que je pourrais écrire librement.

Même en Occident, cela m’a pris trois ans pour enlever mon hijab lors de mes passages dans les médias. Parce que je ne voulais pas perdre ma relation avec ma famille, je ne voulais pas briser le cœur de ma mère, à cause de la pression familiale.

 — Parlez-nous de votre campagne « Let us talk » : comment a-t-elle commencé, quelles ont été les réactions ?
— Pour être honnête, le jour où j’ai partagé ma photo avec et sans hijab et où j’ai demandé aux femmes de rejoindre mon initiative « Let us talk », je ne m’attendais absolument pas à créer une telle vague dans le monde, maintenant ce ne sont pas uniquement des femmes iraniennes qui prennent la parole. J’ai vu comment cette campagne avait réuni des femmes de pays musulmans ou de communautés musulmanes en Occident.

Je suis extrêmement émue de lire les histoires de ces femmes. En fait, cette campagne et toutes les histoires racontées sont pleines de douleur et de force. Les femmes en Iran et en Afghanistan sont opprimées par les États islamiques, l’idéologie islamique et la sharia, et en Occident, nous ne pouvons pas critiquer cette oppression dans les médias par peur de générer de l’islamophobie. La phobie est une peur irrationnelle, mais notre peur de l’idéologie islamique est rationnelle. Notre peur des Talibans et de la République islamique d’Iran est rationnelle.

La raison principale pour laquelle j’ai partagé ma photo d’enfance avec mon hijab est en fait une histoire qui s’est produite au Canada. Un médecin a écrit un article critiquant un poster montrant une enfant avec un hijab. Cet article a été publié dans une revue médicale et dès que l’article est paru, dénonçant le fait qu’une petite fille en hijab fasse partie d’une publicité parce que ce hijab est un signe d’oppression dans beaucoup de pays, il a été violemment critiqué. Et en raison de la violence de ces critiques, la revue de médecine a supprimé l’article et a publié des excuses. Quand j’ai entendu parler de cette histoire, cela m’a brisé le cœur et cela m’a ramenée à mon enfance : j’ai été opprimée en étant contrainte de porter un hijab dès l’âge de 7 ans. Je me suis dit : il faut que je le dise aux autres dans le monde, qu’il a raison. Lorsque j’étais enfant en Iran, le hijab était un instrument d’oppression, et pas juste pour moi, pour des millions d’autres filles et femmes. Il faut que je partage ma propre histoire. Cela m’a rappelé qu’à de nombreuses reprises, j’ai été censurée en Occident, on m’a dit que parler de mon histoire générerait de l’islamophobie. Cela m’a poussée à prendre encore plus la parole et à partager mon histoire. Dès que j’ai publié sur internet ma photo d’enfance avec mon hijab, juxtaposée à une photo de moi, me sentant libre, avec les cheveux au vent, cette publication a été virale. Je n’arrive pas à croire que cela crée une telle vague. Je crois sincèrement qu’ensemble nous sommes plus fortes et cela va nous conduire quelque part. Cela va contraindre le monde à nous écouter. Parce que nous, les femmes du Moyen Orient, connaissons les violences, la brutalité, les humiliations, les discriminations, et nous avons le droit d’avoir peur des Talibans, de l’État islamique, de l’Iran, de l’idéologie islamique, parce que c’est nous qui connaissons le mieux l’idéologie islamique

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À propos Masih Alinejad

est une activiste iranienne qui lutte pour les droits des femmes. Elle est journaliste et a dû se réfugier aux États-Unis, où elle vit encore actuellement.

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