Il me semble que le croyant incarne une liberté fondamentale dans la mesure où rien ni personne ne peut nous forcer à croire. Croire n’est pas une nécessité, mais un choix, un plus. La liberté est ou devrait être la condition de l’existence croyante. Croire est un possible, non une obligation. C’est pourquoi la foi récuse par essence toute contrainte.
Prouver Dieu, c’est nier Dieu
Les apologètes des preuves de l’existence de Dieu veulent imposer Dieu dans le cadre d’un raisonnement. Où est alors la liberté de la foi ? Croire suppose le doute, une non-évidence. « Ce n’est qu’à condition de n’être pas évidente qu’une religion est religion », a écrit le théologien et critique littéraire vaudois Alexandre Vinet (1797-1847). Là où le doute est impossible, la foi elle aussi le devient. La foi dit oui en dépit de tout ce qui nous pousse à dire non. L’évidence logique d’un Dieu prouvé me conduirait plutôt à penser que Dieu prouvé, c’est Dieu nié. Le contraire de la foi n’est donc pas le doute, mais un « je sais ». On croit toujours malgré, en dépit de, quand même. Il est remarquable que le dernier livre écrit par le pasteur Wilfred Monod (1867-1943) s’intitule Quand même ! Croire, c’est vouloir croire. J’ai toujours ressenti péniblement les propos de ceux qui me disaient que j’avais bien de la chance de croire. La foi est un choix difficile et non pas une solution paresseuse ou une disposition naturelle, voire un héritage ou une grâce, dont certains bénéficieraient et non pas les autres. Dans la mesure où la liberté exige d’être construite et conquise, parce qu’elle n’est jamais donnée par avance, la foi aussi, qui lui est intimement liée, appelle un effort de la volonté. C’est pour cela que le philosophe Nicolas Berdiaev (1874-1948) a pu affirmer que « la liberté n’est pas un droit, mais un devoir ». Il y a une autre manière de détruire la foi et sa liberté, c’est, par exemple, de chercher dans les miracles des preuves de la « nature divine », comme on dit, de Jésus. Certains voudraient trouver dans les miracles relatés dans les évangiles, de la naissance virginale au tombeau vide, les preuves de la divinité du Christ. Si preuve il y a, où est la liberté profonde du croire ? On serait un vrai croyant en ne mettant pas en doute les miracles ! Mais nous cherchons en fait avec ces derniers le confort de la preuve ; nous voulons croire sans plus avoir à croire et en faisant ainsi habilement l’économie de la foi. On se flatte alors d’avoir une foi véritable par rapport à ceux qui mettent en doute certains miracles. Il ne s’agit pas de dire « je sais » là où en réalité « je crois ». Il ne s’agit donc pas de chercher à prouver Dieu, mais bien plutôt à l’inscrire dans un horizon de crédibilité. Il peut y avoir des raisons, de bonnes raisons, de croire que Dieu existe, mais cela n’est pas une démonstration. Il y a tout autant de bonnes raisons de croire que Dieu n’existe pas. Dans un certain sens, les croyants et les agnostiques partagent une même foi et un même non-savoir. Le croyant dira ainsi qu’il croit que Dieu existe, mais qu’il ne le sait pas, là où l’agnostique dira qu’il croit que Dieu n’existe pas, mais qu’il ne le sait pas
Une liberté personnelle
Un exemple d’une foi contrariée dans son lien infrangible qui l’unit à la liberté est la question de l’infaillibilité pontificale, voire ecclésiale. Ce dogme a été promulgué par le pape Pie IX en 1870. La papauté renforçait alors son pouvoir spirituel à une époque où l’Église catholique romaine avait beaucoup perdu de son autorité temporelle. D’après ce dogme, et lorsqu’il parle ex cathedra, le pape « est doué, par l’assistance divine promise dans la personne du Bienheureux Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Église fût pourvue en définissant une doctrine sur la foi ou les mœurs ». Si on lit très minutieusement ce texte en le prenant au pied de la lettre, on constate que c’est en de très rares occasions que le pape engage ainsi son infaillibilité. Mais la grande majorité des fidèles attribue au pape une infaillibilité qui dépasse très largement ces cas exceptionnels. Pour eux, le pape est infaillible. Le dogme de l’infaillibilité pose certes une question d’autorité, cette dernière étant d’ailleurs aussi représentée par le pouvoir des évêques. Mais le dogme de l’infaillibilité devient surtout, – et on le souligne insuffisamment – l’expression d’une doctrine opposée à la liberté de la foi, par conséquent à la foi véritable. La liberté personnelle du croire s’efface devant une instance qui croit pour moi. Que devient, dans de telles conditions, cette liberté de conscience si chèrement acquise et si chère aux protestants quels qu’ils soient ? C’est là un rappel salutaire quand on sait que le dimanche 31 de ce mois nous fêterons le dimanche dit de la Réformation en souvenir de ce 31 octobre 1517 où Luther afficha à Wittenberg ses fameuses thèses sur et contre les indulgences.
Besoin de croire ?
Quand on parle de foi et liberté, il convient de s’interroger sur l’expression selon laquelle nous croyons en Dieu parce que nous en avons besoin. N’est-ce pas là une manière de limiter très sérieusement la liberté de la foi en rendant le croire dépendant et nécessaire ? La gratuité de la foi ne s’inscrit plus alors dans l’ordre de la liberté, mais dans celui d’une nécessité, d’un utilitarisme qui la nie. Postuler la liberté de la foi, c’est en effet choisir de croire alors que rien ne vient nous l’imposer et que l’on pourrait très bien ne pas croire. Croyons-nous véritablement quand notre démarche est dictée par un besoin ?
Certes, nos choix ont le plus souvent des motivations profondes et secrètes, d’ordre plus ou moins psychologique, mais il n’en reste pas moins vrai qu’affirmer que l’on croit parce qu’on en a besoin, ou même parce que cela nous arrange et nous aide, est la marque d’une certaine aliénation religieuse. Pour cette dernière, nous ne croyons en Dieu que par nécessité, résignation ou utilité. Martha, l’héroïne de Camus dans sa pièce de théâtre Le malentendu, déclare ainsi : « Je hais ce monde où nous en sommes réduits à Dieu. » Dans le débat qui réunit athées et croyants, il ne convient pas de s’accuser les uns les autres d’une solution dictée par la facilité. L’athée et le croyant ne font pas nécessairement le choix qui est le leur par besoin, peur ou démission. Il n’est en réalité ni facile de croire ni facile de ne pas croire. Ces deux attitudes ont leur combat de longue haleine et leurs exigences coûteuses. Dans de telles conditions, prier ne saurait être une solution de facilité pour attendre d’un Dieu ce qui relèverait de notre responsabilité. Comme le disait Wilfred Monod, « prier, c’est exaucer Dieu », non pas parce que Dieu nous demanderait de prier, mais parce que nous sommes invités à faire sa volonté plutôt qu’à attendre passivement de lui qu’il la fasse à notre place.
On est très généralement aujourd’hui partisan, dans le monde des exégètes, d’une lecture historico-critique des textes bibliques. C’est là un résultat très important d’une conquête, surtout dans le cadre des Lumières, de la raison et de l’esprit scientifique sur les obscurantismes et les récupérations bien souvent idéologiques pratiquées par un certain littéralisme. Mais, même si cette lecture historico-critique de la Bible suppose le respect intégral de notre liberté, il me semble indispensable d’insister ici sur le fait qu’il faut également et surtout pratiquer une lecture historico-critique des dogmes et des doctrines. Il s’agit donc de libérer sans cesse la foi des carcans dogmatiques qui la brident, l’encadrent et la soumettent. D’une manière qui n’a rien de contradictoire, la lecture, même très critique, des doctrines, loin de nous éloigner de la foi, d’une foi toute nue, nous en rapproche. La foi n’est pas la servante soumise de doctrines qui en contrarient la liberté, l’encadrent, la limitent et la contrôlent, voire l’étouffent, le plus souvent d’ailleurs avec les meilleures intentions du monde. Dans une telle perspective, le contraire de la vérité n’est pas l’erreur, mais bien le fait d’imposer la vérité ou ce que d’aucuns estiment être la vérité. « La vérité sans la recherche de la vérité n’est que la moitié de la vérité », écrivit encore Alexandre Vinet.
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