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Redonner au livre sa parole perdue

 

Lorsqu’on essaie de comprendre la distinction entre chiisme et sunnisme, on revient souvent à la crise de succession survenue à la mort de Mahomet. Cela peut donner l’impression que la division a des causes uniquement politiques et fait oublier que l’enjeu est avant tout religieux ; pour les chiites, le prophète est l’objet d’une élection divine, et son successeur doit également l’être. Mais le refus de l’élection humaine d’Abu Bakr, futur premier calife, n’est qu’une étincelle.

Le chiisme s’est développé autour de la figure du guide spirituel, de l’imam, mot qui n’a pas ici le même sens que dans le sunnisme, où il désigne n’importe quel meneur religieux ; le terme est sacré pour les chiites, au point qu’on peut dire que le chiisme est la religion de l’Imam comme le christianisme est la religion du Christ. Mais il faut comprendre le rôle de ce guide ; sur le plan métaphysique, il manifeste les attributs de Dieu et sur le plan physique il révèle le vrai sens du Coran et en incarne la parole. Le chiisme distingue souvent le “Coran silencieux”, qui est le texte écrit, et “le Coran parlant”, c’est-à-dire l’Imam, parole vivante de Dieu qui redonne au livre sa parole perdue. Par l’herméneutique, il révèle l’essence cachée de la parole divine.

Pour comprendre la nécessité d’un Coran parlant pour les chiites, il faut rappeler les problèmes de la constitution du texte. Les sources islamiques parlent de quatre ou cinq recensions différentes du Coran qui circulaient sur les terres d’Islam jusqu’au début du IVe siècle de l’Hégire (Xe siècle de notre ère), jusqu’à l’acceptation par tous les musulmans d’une version officielle. Les chiites ont longtemps critiqué cette version impériale apparue dès la fin du Ier siècle de l’Hégire, soupçonnant des falsifications dues à la connivence entre autorités religieuses et autorités politiques. Bien sûr, les sources chiites sont orientées, comme les sources sunnites, et doivent être lues avec un regard critique – mais elles ont longtemps été ignorées dans l’islamologie, au péril de notre compréhension de l’histoire du texte.

(Ce texte est issu d’un entretien accordé à Adrien Duclos)

Pour aller plus loin : Mohammed Ali Amir-Moezzi, Le Coran silencieux et le Coran parlant, Paris, CNRS Éditions, 2020)

 

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À propos Mohammad Ali Amir-Moezzi

est directeur d’étude en islamologie classique à l’École pratique des hautes études.

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