Le Christianisme social naît en 1887, est relancé en 1945 puis vit avec des hauts et des bas jusqu’au début des années 2000 pour être redynamisé à nouveau il y a quatre ans. Au-delà des vicissitudes institutionnelles, il est une sensibilité dans le protestantisme ; il a son pendant catholique, employant parfois le même vocable.
Tout au long de son histoire, il vit toujours de la même tension : engager les protestants à prendre leurs responsabilités dans les réalités du monde, interpeller les mouvements progressistes pour aller au-delà de leurs évidences, souvent matérialistes et productivistes. Tommy Fallot, fondateur du mouvement avec l’économiste Charles Gide, interpelle en 1888 les protestants qui pensent que leur rôle n’est que « religieux » : « Peu m’importe vraiment les conseils que Dieu a pu donner il y a plus de deux mille ans à Ezéchias, roi de Juda, si l’on m’autorise à croire qu’Il est incapable à l’heure actuelle de parler à mon peuple en détresse un langage que celui-ci comprenne et de suggérer quelques viriles résolutions à M. Carnot, président de la République française ! » (Tommy Fallot, Christianisme et socialisme, éditions Ampelos, Paris 2012) À la même époque, s’adressant aux socialistes, alors que le courant de Jules Guesde vient de prendre le dessus sur le courant spiritualiste et pragmatique de son ami Benoît Malon, il dénonce « ce catéchisme qui divinise la matière, qui ferme à double tour le ciel et fait de la terre le cachot de notre destinée ».
Le Christianisme social se situe dès sa naissance sur trois terrains : spirituel, social et politique. Tommy Fallot et Wilfred Monod réfléchissent à une théologie de l’action de la grâce dans le concret du monde. Fallot s’inquiète des personnes « hors des atteintes de la grâce », vivant dans de telles conditions qu’elles ne peuvent profiter des effets de la grâce. Sur le terrain social, il invite le protestantisme, qui a inauguré son engagement social avec les diaconats et les institutions de bienfaisance, à développer son action et à la transformer pour n’être plus seulement un moyen de soulager la misère mais de préfigurer le « nouveau monde » possible, le Royaume qui vient et, sur la lancée de Charles Gide, à développer les coopératives de consommation et production, les mutuelles, etc. Politique, il invite à changer les structures de la société pour « faire de la terre le parvis du ciel ».
Ce triptyque spirituel, social et politique est toujours celui du Christianisme social. Les aspects sociaux concrets se vivent dans les associations et institutions sanitaires et sociales regroupées au sein de la Fédération de l’Entraide Protestante, dans les Fraternités de la Mission populaire évangélique ou d’autres associations comme la CIMADE. Le Mouvement du Christianisme social a été relancé il y a quatre ans avec la volonté de faire vivre la réflexion théologique et politique à la base, par la création de groupes locaux appelés « Communes », insistant sur la capacité collective à réfléchir et agir, sans attendre ni dépendre d’instances nationales ou d’intellectuels officiels qui donneraient une position officielle. Chaque personne ou groupe peut s’exprimer librement en « se réclamant du Christianisme social » avec pour objectif de « confronter la foi chrétienne avec son environnement social, économique, politique, culturel et écologique et de poser des paroles et des gestes de libération » ainsi que l’énonce le texte de relance du mouvement de juin 2010. Des textes collectifs d’intervention dans les débats publics ont été publiés régulièrement – y compris dans Le Monde, Libération ou l’Humanité – en faveur du mariage pour tous, à propos de la montée de l’islamophobie ou lors des élections présidentielles : « Si nous voulons prendre la parole, nous voulons surtout engager les batailles d’idées nécessaires afin de déplacer les questions et les clivages des débats dans nos Églises et dans la société. »
Pour faire un don, suivez ce lien