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La règle du jeu

 

Le concept de jeu à somme nulle est assez simple à comprendre : il y a un nombre fini de parts de gâteau et lorsqu’il n’y en a plus, il n’y en a plus. Ou alors, plus simplement : si je gagne, tu perds. La compétition est alors le mode de comportement adéquat : il s’agit de tirer son épingle du jeu du mieux possible, aux dépens d’autrui, puisque les ressources sont finies et qu’il n’y en aura pas pour tout le monde. Le plus stratège, avec un peu de chance, gagne.

Dans ce type de jeu, la règle du jeu – la loi – fonctionne comme critère qui désigne gagnant et perdant.

Se placer sous la loi, c’est littéralement une « hypo-crisie »

Il y a une façon de vivre la foi sous ce régime-là. Il y a une façon d’utiliser la loi pour s’assurer d’être gagnant au final, en appliquant la règle du jeu telle qu’on la perçoit. S’il n’y a que deux issues possibles, gagnant ou perdant, l’enjeu existentiel est énorme. S’il y a ceux qui gagnent (leur paradis) et ceux qui perdent (l’amour de Dieu), alors il importe d’être très au clair sur la règle pour s’assurer d’être du bon côté. Le risque, voire la tentation, sera de chercher à utiliser la loi pour tricher et ainsi ôter à l’adversaire potentiel un avantage concurrentiel. Psychologiquement, ce jeu-là consiste à se placer sous la loi pour la tourner à son avantage. Jésus appelait ça être « hypocrite », littéralement « sous la loi » : se comporter comme si la loi ne servait qu’à vous assurer le salut à vous plutôt qu’aux autres.

Dans le tribunal de Dieu, la confiance remplace la loi

Dans la lettre qu’il écrit aux Romains, Paul consacre un chapitre à une question brûlante que ses destinataires lui avaient posée, à propos de ce qui semble à première vue anodin, la nourriture. Quelle est la bonne loi, lui demande-t-on ? Dans la communauté de Rome, il y a des chrétiens d’origine païenne, pour qui la rencontre avec l’Évangile signifie que les idoles n’ont plus aucune valeur et qu’ils sont libres de consommer la viande des animaux sacrifiés sur les autels de la ville pour les cultes païens. Il y a aussi dans cette communauté des gens d’origine juive, pour qui la foi chrétienne se situe dans la continuité de la foi au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et qui continuent à suivre la kashrout, les prescriptions rituelles à propos de la nourriture. Ils pourraient manger de la viande si elle était rituellement acceptable, mais depuis l’expulsion de la plupart des juifs de Rome quelques décennies plus tôt il n’y a plus de boucher rituel, ils sont donc obligés de devenir végétariens pour ne pas risquer de consommer de la viande impure (et tout particulièrement la viande des sacrifices aux idoles). Qui a raison ? Qui a la bonne loi ? Paul ne tranche pas. Il en appelle à un autre concept pour replacer le débat sur un autre plan. Il ne s’agit pas, dit-il, de suivre la bonne loi, mais de se considérer devant le tribunal de Dieu. Ça a l’air d’être la même chose mais pour Paul c’est exactement le contraire : pour lui, le tribunal de Dieu n’est pas le lieu où la loi est appliquée, c’est le lieu où l’être humain ne peut plus seul : face à Dieu, l’être humain est tout nu, tout seul, sans l’échafaudage qui lui fait croire que c’est ce qu’il croit et ce qu’il fait qui lui donne une valeur. Dans le tribunal de Dieu, ce n’est pas la loi qui compte. C’est la confiance.

L’épreuve de la confiance est autrement plus exigeante que l’épreuve de la loi. Nous, les humains, avons une fâcheuse tendance à faire en sorte que la loi fonctionne à notre bénéfice ; faire confiance à Dieu nous oblige à entrer dans une relation vraie, sincère, ouverte où la manipulation devient impossible. Or dès ici et maintenant, nous pouvons vivre la foi, non plus sous la loi, mais devant Dieu.

Une confiance partagée

La règle de ce jeu-là est bien différente de celle d’un jeu à somme nulle. Dans ce jeu-là, il n’y a plus ni gagnants ni perdants, mais frères et sœurs à égalité devant Dieu, parce que c’est la relation à Dieu qui fonde leur vie. Ça ouvre l’exercice ô combien difficile du vivre ensemble, non comme le lieu où se pousser du coude pour être meilleur chrétien que l’autre, mais comme le lieu d’une confiance partagée.

Ce sont alors les règles du jeu collaboratif qui s’appliquent pour que tous, ensemble, avancent, pour que la joie du jeu soit le but même du jeu, pour que personne ne reste en arrière. C’est un devoir citoyen qui s’esquisse alors, pour réfléchir, mais autrement, à ce que signifie une bonne loi, pas celle qui condamne les uns pour récompenser les autres, mais celle qui nous fait gagner tous ensemble et qui nous fait avancer vers toujours plus de dignité.

 

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À propos Pascale Renaud-Grosbras

est pasteure de l’Eglise Protestante Unie de France ; depuis le 1er juillet 2023, envoyée dans l’Eglise française de Londres

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