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La corrélation, d’après Paul Tillich (1886-1965)

Quand on a demandé à de dire de quelle manière ses idées s’étaient développées dans sa vie et sa pensée, il a déclaré que le concept de frontière était le meilleur pour exprimer tout son développement « personnel et intellectuel ». La frontière n’est pas, en l’occurrence, comprise comme ce qui sépare et oppose, mais comme ce qui rapproche et unit. Elle pourrait être rendue par un « et ». Elle est un refus des étanchéités.

Cela se vérifie dans les titres donnés aux 5 parties de sa Théologie systématique : « La raison et la révélation », « L’être et Dieu », « L’existence et le Christ », « La vie et l’Esprit », « L’histoire et le Royaume de Dieu ». Le mot de systématique, et non pas celui de dogmatique, est à souligner. À lui seul, il exprime une interdépendance entre différentes réalités. Dans ses études universitaires comme dans son enseignement, Tillich a toujours relié l’une à l’autre philosophie et théologie.

Un lien différent est encore à souligner, celui qui rattache la théologie et la société. Sa vie en est le témoignage : il est ainsi le premier professeur non juif à être révoqué de sa chaire universitaire et cela parce qu’il a demandé que soient exclus de l’université des étudiants nazis qui avaient molesté des étudiants juifs dont il a pris la défense. Il avait d’ailleurs fondé avec des amis un mouvement de socialisme chrétien opposé au « national-socialisme » nazi.

Plus largement, la pensée de Tillich relie culture et théologie. Un de ses premiers livres, paru en 1959 et traduit en français en 1968, s’intitule Théologie de la culture. On y trouve aussi bien des réflexions sur le Guernica de Picasso que des analyses sur les liens entre existentialisme et psychanalyse, science et théologie, dont un dialogue avec Einstein. La culture est ici comprise avec toutes ses potentialités religieuses. Cette théologie de la culture n’est pas, comme chez Barth, une théologie de la rupture (entre Révélation et religion ou entre foi et religion).

Tillich s’exile à New York en 1933 où il poursuit désormais en anglais (dont il ne savait pas un mot avant d’arriver aux USA) sa carrière universitaire à la faculté Union Seminary. Il sort de ce qu’il appelle le « provincialisme » européen. Il va alors combattre pour une théologie en dialogue, dont celui avec d’autres religions. Le caractère interdisciplinaire de l’entreprise théologique lui apparaît plus que jamais décisif.

 La notion de frontière et la corrélation

La méthode de corrélation incarne et exprime cette notion de frontière étrangère aux cloisonnements.
Elle se traduit d’abord par un renouveau du vocabulaire. Tillich écrit dans la « Préface » de sa christologie : « (…) je ne peux pas accepter comme valable une critique qui se contente d’insinuer que j’ai abandonné la substance du message chrétien parce que je me suis servi d’une terminologie qui s’écarte consciemment du langage biblique ou du langage ecclésiastique. Je pense que sans ce renouvellement du langage ce n’aurait pas valu la peine de construire un système théologique pour notre temps. ». Ce renouvellement s’avère, selon lui, absolument indispensable si l’on veut éviter l’élimination du message évangélique dans le monde actuel.
Il y a ensuite, tout aussi nécessaire selon Tillich, le souci de répondre aux questions existentielles, profondément personnelles, que les gens se posent. Même si les réponses bibliques et chrétiennes sont souvent inattendues, il y a une interdépendance entre elles et nos interrogations fondamentales.

Tillich cherche également une voie moyenne entre le théisme (supranaturalisme), qui postule un Dieu tout-autre, et le panthéisme (naturalisme), qui identifie Dieu et le monde. « Le fini renvoie au-delà de lui-même », « la finitude du fini renvoie à l’infinitude de l’infini », « l’amour est l’infini donné au fini », écrit-il par exemple. Dans ce cadre-là, Dieu est radicalement autre, mais non pas étranger à la création.
Il s’agit enfin d’un point très important qu’il faut souligner quand on parle de la méthode de corrélation : elle est plus qu’un renouveau du vocabulaire correspondant au langage des femmes et des hommes de notre temps ; plus qu’une volonté de répondre aux questions essentielles que les gens se posent ; plus qu’une voie moyenne entre le théisme et le panthéisme. Elle suppose une ontologie et, par conséquent, une compréhension de l’être exigeante et fondamentale.

 L’Être nouveau en Christ

La méthode de corrélation exprime avec l’Être une réalité qui la fonde et la précède. Il y a en effet, faite de proximité et de distance, une parenté, une correspondance, d’ordre ontologique, entre Dieu et le monde. On trouve la même idée dans la théologie du Process. Notons que le « monde » enraciné dans l’Être n’est pas que le monde humain, mais bien toute la réalité.

Cela dit, il y a une rupture partielle (péché, aliénation) entre Dieu et le monde ; le Christ rend ce dernier à sa vérité fondamentale, le restaure. Le Christ est l’Être nouveau par excellence. En lui et par lui nous participons à ce Nouvel Être et nous devenons, comme le dit Paul, une « nouvelle créature » (2 Co, 5,17) En Christ, écrit Tillich dans une prédication, « une nouvelle réalité a surgi ». L’Être nouveau a triomphé de l’être ancien et a ainsi le pouvoir de nous transformer. On ne trouve pas là, comme la notion d’être pourrait nous le faire penser, un fixisme, mais bien un dynamisme existentiel.
Le Christ est la référence privilégiée. La christologie est centrale dans l’œuvre et la pensée de Tillich et c’est pourquoi elle figure au centre des cinq volumes de sa systématique. Tout ne part pas du Christ, comme chez Karl Barth, mais tout peut y conduire ; on va vers lui à travers les réalités de ce monde et une réflexion d’ordre philosophique, culturel, par exemple. Ce volume s’intitule de manière significative L’existence et le Christ et non pas Le Christ et l’existence, ce qui aurait été en effet une manière barthienne de dire les choses

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À propos Laurent Gagnebin

docteur en théologie, a été pasteur de l'Église réformée de France, Paris ( Oratoire et Foyer de l'Âme ) Professeur à la Faculté protestante de théologie.Il a présidé l’Association Évangile et Liberte et a été directeur de la rédaction du mensuel Évangile et liberté pendant 10 ans. Auteur d'une vingtaine de livres.

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