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Cène

 

Quel rêveur, quel réformateur, quel anarchiste a jamais proposé d’inviter le patron et le manœuvre au même repas, pour les faire boire à la même coupe ? Et pourtant, la sainte cène opère ce miracle ; l’éboueur y porte la coupe à ses lèvres et la passe au député, qui boit après lui […]

Dans la simplicité de cet acte sans phrases, il y a quelque chose de surnaturel, et qui nous dépasse au point de nous troubler étrangement. L’Évangile y apparaît comme l’énergie égalitaire par excellence. Jusque-là, seule la mort pouvait prétendre nous rendre tous égaux face à elle. Toutefois, la mort crée, brutalement, une égalité involontaire entre les personnes, tandis que l’Évangile suscite, harmonieusement, une égalité des vivants consciente et volontaire. Cette communion que nous célébrons tous autour de cette table est un bouleversement de l’ordre social, un ferment de réformes sans limites, une image de l’humanité future, le germe de la “nouvelle terre où la justice habitera”. Ce pain a une histoire. […]

Pour faire la bouchée de pain qui nous est offerte à la table sainte, il a fallu presque un an d’efforts et de collaboration obstinée avec la pluie et avec les rayons du soleil, et tout le travail des hommes, du grainetier à l’agriculteur, du semeur au moissonneur, du transporteur au distributeur, du grossiste au meunier, du meunier au boulanger, du boulanger à cette table. Ce pain est la nourriture la plus noble qui existe ; c’est le sacrement de la communion avec la nature généreuse et c’est le sacrement de la solidarité humaine, solidarité avec l’humanité au travail, qui a permis que cette nourriture soit sur cette table. Mais ce pain est aussi le symbole d’une inégalité meurtrière. Qui possède le pain, est maître de celui qui ne le possède pas.

Le morceau de pain est au centre du monde ; le jour où toute l’humanité sera pleinement assurée d’en manger, marquera l’avènement du genre humain à la dignité humaine ; c’est alors qu’il se dégagera, définitivement, de l’animalité.

Ce pain et cette coupe sont au centre du monde pour nous ce matin, comme pour beaucoup de chrétiens qui célèbrent ce même repas en ce même jour : par le fruit de la vigne, par les épis de blé et le travail des hommes, nous nous souvenons de Jésus-Christ, qui s’est présenté à nous comme le Pain vivant, et comme la vigne.

Il a vécu parmi nous, mais nous ne l’avons pas accueilli. Il a été trahi et mené jusqu’à l’abîme de la mort.

 

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À propos Wilfred Monod

Wilfred Monod (1867-1943) a été pasteur à l’Oratoire du Louvre et professeur à la faculté de théologie de Paris. Il lutta toute sa vie pour un christianisme social

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