« Ceci est mon corps ». Cette phrase, nous la répétons, ou l’entendons, dimanche après dimanche, au moment de la célébration de la Cène. Mais, de quel corps parlons-nous ? De quels corps parlons-nous lorsque nous évoquons les personnages bibliques ? Dans le cas de Jésus, qu’évoquons-nous quand nous parlons de son corps ? De ce qui se fit symbole au moment du dernier repas ? Du corps qui mourut sur la croix ? D’un corps qui n’aurait été qu’une enveloppe de chair, habillant le Verbe le temps de sa mission parmi les hommes ? Du corps de Jésus, nous ne savons rien. Peut-être avait-il une cicatrice faite pendant l’enfance qui, comme Ulysse, le rendrait reconnaissable à coup sûr aux yeux de ses proches. On ne sait s’il était grand, si sa silhouette se distinguait dans la foule. Pourtant, ce corps a évolué parmi ses semblables. Il s’est mouillé à l’eau du Jourdain et peut-être dans des jeux d’enfants avant même d’y recevoir ce baptême. Ses mains de charpentier ont dû reconnaître avec horreur, dans les veines du bois qu’il connaissait si bien, l’essence de celui qui avait servi pour fabriquer la croix. Ce corps, de la vigueur de ces trente ans, a dû lutter de toutes ses forces pour ne pas se laisser emporter par la mort au Golgotha.
Des corps malmenés, participant à un destin qui les dépassait, nous pouvons en évoquer d’autres. Le corps jeté à l’eau, ballotté par les flots, presque noyé de Jonas, pour être finalement recraché par une baleine. Le corps de Marie qui accueille un enfant dont le mystère grandit en son sein et qui devra accoucher dans la solitude la plus totale, sans une autre femme pour l’y aider. Nous pouvons penser à Ruth, dont la fidélité à sa belle-mère lui fera accepter de donner son corps à un homme, pour lui offrir une descendance. Et que dire de la luxation de la hanche de Jacob, seule issue trouvée par un ange pour mettre fin au combat qui les opposait ?
Que faisons-nous de ces corps lorsque nous lisons ces récits ? Nous les mythologisons. Nous les tenons éloignés de nous, comme des éléments d’un récit dont la critique historique nous a appris qu’ils ne sont qu’une construction. Nous pourrions aussi les considérer autrement, tenter une identification. Repenser à tous ces noms comme des êtres de chair, de sang, de souffle et d’esprit. Des ancêtres communs qui nous apporteraient encore aujourd’hui leur histoire. Comme une histoire de famille dont nous savons maintenant, avec l’épigénétique, que les traumatismes se transmettent. Les traumatismes mais aussi les joies, les espérances et souvent, leur formidable confiance. Si nous les laissions nous rejoindre dans nos vies ? Leurs histoires pourraient alors toucher ceux qui se sentent blessés, fragiles, malmenés ou atteints dans leur corps et qui verraient là une expérience commune.
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