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L’« Affaire Vivaldi »

 

Il y aurait donc une « Affaire Vivaldi » relatée par le chef d’orchestre, flûtiste et musicologue Federico Maria Sardelli, quasiment un polar comme L’Affaire Saint-Fiacre écrite par Georges Simenon ? Le nom de Vivaldi est si connu mondialement aujourd’hui (même si on peut regretter qu’il soit, pour beaucoup, réduit aux Quatre Saisons dénaturées en musique de supermarché ou d’attente téléphonique) qu’on en oublierait presque qu’il avait disparu des programmes musicaux à la fin de sa vie.

La mode est chose cruelle, même en musique. Quand il meurt en 1741, il est « passé de mode », pauvre, couvert de dettes. Si, peu avant ce retournement, il était un des violonistes les plus connus de son temps, si ses œuvres, tant religieuses qu’instrumentales ou théâtrales circulaient partout en Europe, le vent a tourné et, pour éviter le naufrage et échapper à ses créanciers, il fuit à Vienne espérant pouvoir se refaire grâce à un poste qu’il demanderait à l’empereur, lequel avait manifesté des années auparavant du goût pour sa musique. Las, il arrive à Vienne, l’empereur vient de mourir, l’héritier du trône lui fait comprendre que sa musique n’est plus au goût du jour, dont acte. Il ne pourra donc pas remonter la pente et mourra dans la misère à Vienne, seul !

L’histoire pourrait se terminer ici, et nous aurions pu garder de lui le souvenir de quelques œuvres dans les transcriptions qu’en fit, entre autres, Jean-Sébastien Bach. Quand il meurt, les créanciers font saisir les maigres biens dans son appartement vénitien. Tous ses biens ? Non, son frère Francesco sauve de la saisie ce qui était le plus cher au musicien, ses violons et ses manuscrits en le dérobant nuitamment. C’est là que débute l’enquête du « commissaire » Sardelli ! Car si les manuscrits sont physiquement sauvés, ils restent inaccessibles au public entre 1740 et 1922. Et les mésaventures sont nombreuses pendant ces cent quatre-vingt-un ans : les manuscrits sont convoités par des bibliophiles de qualité, rachetés par un jésuite pour son cabinet de curiosités, rachetés encore par un amateur, et ainsi de suite… Et si des salésiens n’avaient pas voulu construire une nouvelle chapelle pour leur collège, sans doute n’auriez-vous jamais entendu de musique de Vivaldi…

Mais on ne révèle pas tous les éléments de l’enquête dans la recension d’un polar ! À vous de découvrir en lisant ce livre passionnant, qui nous transporte dans de curieux allers-retours entre 1740 et 1926, comment ce trésor disparu est ressuscité et a été rendu au public grâce au travail attentif et à la détermination du directeur de la Bibliothèque nationale de Turin, Luigi Torri, et au musicologue Alberto Gentili, qui durent surmonter de nombreux problèmes bureaucratiques – un Ministère qui n’a pas d’argent pour acheter ce trésor et qui renvoie le directeur de la bibliothèque à la recherche de fonds privés – et idéologiques – une tentative de récupération de ce patrimoine « national » par les proches de Mussolini. Ces éléments ne manquent parfois pas de tinter à nos oreilles contemporaines…

Sardelli est un spécialiste reconnu de la musique baroque, chef d’orchestre, flûtiste et musicologue, mais aussi un excellent dessinateur et peintre ; il se révèle ici être aussi un brillant écrivain, choisissant de faire de ce qui aurait pu être un ennuyeux essai historique sur les vicissitudes de manuscrits disparus, un roman haletant que sous-tend aussi un élément grave, celui de la fragilité de la transmission de notre patrimoine culturel. L’ouvrage a obtenu le Trophée du livre du site www. forumopera.com, figure dans la Sélection du Prix du Livre France Musique-Claude Samuel et vient d’être couronné du Prix Pelléas-Radio Classique qui distingue « L’ouvrage musical aux meilleures qualités littéraires ».

Federico Maria Sardelli, L’« Affaire Vivaldi », Paris,van Dieren Éditeur, 282 pages, 20 €

 

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À propos Michèle Pourteau

a été enseignante en IUFM pour la formation des professeurs des écoles. À la retraite, elle poursuit des activités de formation, que ce soit au Bénin à Songhaï, centre de formation agricole pour l’élaboration des projets d’entreprise des agriculteurs, ou dans le cadre d’une université de théologie en ligne (domuni.org).

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