Si nous pensions qu’en 1905 nous mettions fin au conflit des deux Frances qui opposait le religieux autoritaire et obscurantiste et les défenseurs de la conscience et de la pensée libre, eh bien on se trompait. Force est de constater que presque cent vingt ans après la loi qui introduit la laïcité dans les principes républicains, la question même de la laïcité n’est pas vraiment réglée. Les camps restent bien marqués et chacun y va de sa compréhension de la laïcité et chacun en appelle à la neutralité. Une neutralité qui n’en a que le nom puisque ceux qui la réclament la font toujours pencher de leur côté.
Ferdinand Buisson faisait déjà le même constat à son époque et ses mots pourraient être encore les nôtres aujourd’hui, sans changer une seule virgule.
« Les mêmes qui ne voulaient voir en la neutralité scolaire qu’un attentat contre la liberté, contre la religion, contre la famille, sont ceux qui se tournent vers l’instituteur, vers l’institutrice, leur disant d’un air très sentencieux : “N’oubliez pas qu’il y a une loi qui vous impose la neutralité, soyez neutres, mes bons amis !” Ils veulent dire “soyez nul !1 »
Buisson s’élève contre ce qu’il appelle la fausse neutralité. Celle qui encore aujourd’hui (et peut-être encore plus aujourd’hui) est réclamée à l’école. Celle qui consiste à faire de l’instituteur « un distributeur automatique de leçons de calcul et d’orthographe », n’exprimant aucune conviction. Cette neutralité-là, c’est un effacement, c’est l’impuissance et c’est l’insignifiance.
Si on l’applique à une réflexion sur Dieu, et par extension à l’Église, en tant qu’elle est le lieu où l’idée de Dieu se dit, cette fausse neutralité serait le non-questionnement. L’acceptation de ce qui est et qui a toujours été. Ce serait cette sorte de « faire avec ». Pas vraiment satisfait ou d’accord, mais on fait avec et du coup c’est ne pas oser autre chose. Pire que cela, c’est la posture de celui ou celle qui se dit « qui suis-je pour dire ce que je crois vraiment ? »
C’est la neutralité qui vient neutraliser, qui vient rendre comme mort, immobile, absolue.
Pour Buisson, il n’y a pas de neutralité au sens absolu et total de ce mot. Et si pour lui, l’école ne doit pas être une école de combat (contre le religieux), nous pouvons dire la même chose de l’idée de Dieu et de l’Église. Ne faisons pas de l’Église un espace de lutte. Lutte contre la pensée contemporaine ou contre la sécularisation. Une lutte sous forme de résistance mais aussi d’attaque. On se perdrait à vouloir lutter contre un phénomène inéluctable et nos armes ne seraient même pas les bonnes.
La véritable neutralité est le fait de se dégager de tout dogmatisme, c’est-à-dire de toutes idées affirmées comme fondamentales et incontestables
En reprenant Buisson, « il faut définir le mot neutre par le mot laïque ». Tout comme pour l’école, l’idée de Dieu n’est pas neutre, mais elle doit être laïque d’esprit, laïque de méthode, laïque de doctrine. C’est-à-dire qu’on peut concevoir Dieu, le divin, avoir un sentiment religieux indépendamment de toute autorité extérieure à notre conscience.
Et la conscience c’est justement ce sanctuaire inviolable où se trouve Dieu.
La laïcité c’est donc la liberté de conscience et une théologie de la laïcité, c’est croire en un Dieu, un divin qui se présente librement à la conscience ou une conscience libre qui adhère à une idée de Dieu ou du divin.
- Ferdinand Buisson, « La neutralité laïque » (séance de clôture du XXVe congrès de la ligue de l’enseignement, 1er novembre 1903), in La foi laïque
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