La nécessité de prier sans cesse et de ne pas se décourager. Voici le thème annoncé de cette parabole adressée à des disciples qui ne semblent pas très à l’aise avec la prière, qui vont s’endormir au lieu de prier avant l’arrestation de leur maître, et qui lui demanderont ailleurs : « Apprends-nous à prier »… Juifs, ils devaient pourtant prier sans cesse, au lever et au coucher du soleil, lors des repas et de nombreux actes de la vie quotidienne, seuls ou en communauté. Mais ce texte s’adresse aussi aux premiers chrétiens, contemporains de Luc : comment face à l’adversité vivre dans l’attente du retour du fils de l’Homme, figure eschatologique d’un juge qui viendra à la fin des temps et qui tarde ? Veiller sans fuir l’histoire, pour au contraire y entrer pleinement, dans une attente active, afin d’y reconnaître les signes de la présence de Dieu. Mais sans justice sur la terre, comment tenir ?
Par la prière ! répond Jésus, en racontant cette parabole d’une veuve qui, pour obtenir justice, est capable de casser la tête, d’importuner, de dompter à force de coups, un juge qui se vante lui-même de ne respecter ni Dieu, ni les hommes. À l’encontre des deux commandements d’amour qui résument toute la loi : Aime ton Dieu… Aime ton prochain comme toi-même.
La prière semblable à des coups ? Mais de quelle prière parle Jésus ?
La scène se vit dans un cadre profane. Il s’agit d’une demande de justice dans une affaire privée au sein de la vie de la cité. La prière n’est pas cantonnée à la religion, aux déserts, aux temples ou aux chambres fermées. Elle se vit en situation. Elle n’est pas hors sol. Elle n’énumère pas une liste de situations dans lesquelles un être puissant, loin de notre existence, se devrait d’intervenir comme un magicien. Elle se vit et se dit au cœur d’une existence, jusque sur la croix. Ici c’est une veuve, figure de la personne vulnérable, qui demande justice avec cette même énergie que les indignés de tout temps sont capables de trouver le moment venu. Et Jésus la compare à ces élus qui crient jour et nuit et que Dieu, lui, entendra. Des cris, des mots comme des coups, qui rejoignent la clameur de celles et ceux qui aujourd’hui encore n’abandonnent jamais pour obtenir justice,8quitte à être rangés du côté des « extrêmes » par les puissants, les raisonnables, les réalistes ! Martin Luther évoque ce cri comme un soupir : « Et nous, aujourd’hui, sous une si grande persécution et sous l’opposition du pape, des tyrans et des esprits fanatiques qui nous attaquent à droite et à gauche, nous ne pouvons rien faire qu’émettre de tels soupirs, comme s’ils étaient nos bombardes et nos instruments de guerre : c’est avec cela que pendant tant d’années nous avons réduit à néant les desseins de nos adversaires1. »
La prière est donc une arme que Dieu donne aux croyants, parmi d’autres. (Éph.6,3-18) Elle ne se réduit pas à une parole ou une pensée. Elle est l’engagement de toute une vie. Ici, celle d’une femme, pas forcément âgée d’ailleurs, qui avec énergie et pendant un long temps, sort de chez elle, s’approche de son adversaire, lui fait face et prend la parole. Ce sont toujours les plus vulnérables qui trouvent le courage de s’indigner pour la justice. Il y a la prière priante, conversation avec Dieu, et la prière agissante, alliant le souffle et le geste, la voix et l’action. Jésus invite donc bien à une prière permanente. Non pas une vie de prières, mais une vie comme une prière incessante, agissante et persévérante.
Alors, si même un juge sans justice peut craquer face aux soupirs incessants d’une veuve, comment Dieu ne répondrait-il pas aux siens ? D’autant plus que sa justice ne dépend ni de leurs prières, ni de leurs actions, mais simplement de leur foi, de ce lien, si ténu soit-il, noué avec lui.
Le juge sans justice a eu besoin d’un flot de prières pour craquer. Dieu lui a déjà craqué depuis longtemps, à maintes reprises, et l’a manifesté à travers le ministère de Jésus. Enfin, « le fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Cette question finale reste en suspens. Mais espérons que dans ou hors des Églises, il trouvera le soupir des obstinés de justice, qui eux ne lâcheront rien car ils savent que ça vaut… le coup !
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