Accueil / Journal / Les buts de la prédication

Les buts de la prédication

 

La prédication est au cœur du culte protestant, et ceci depuis la Réforme. Contre la messe catholique qui plaçait en son centre l’eucharistie – dont les paroles étaient incompréhensibles pour les fidèles puisque le rituel était en latin – les Réformateurs ont souligné l’importance de la prédication orale, qui devait permettre que le texte biblique devienne parole de Dieu pour les fidèles, dans leur contexte.

Mais quelles sont les attentes des auditeurs ? Deux enquêtes menées dans les années 1980 en milieu luthéro-réformé – l’une en Alsace, l’autre en région Nord-Normandie de l’Église Réformée de France – peuvent nous aider à les percevoir, malgré leur ancienneté.

Ces attentes semblent surtout individuelles. Appelés à choisir trois réponses au plus parmi huit, les auditeurs souhaitent d’abord, à travers la prédication, « recevoir un réconfort spirituel » et « réfléchir aux grands problèmes de l’existence » (50 % ou plus des répondants pour chacun de ces items, dans les deux enquêtes). La prédication doit aussi les aider à « discerner à quels engagements chaque chrétien est appelé » ; l’item vient en 3e ou 4e position, tandis qu’un item similaire, sur les engagements de la communauté, n’a été que peu retenu (6e ou 8e position). La demande de « recevoir un enseignement théologique » vient, elle, en 3e ou 4e position. Qu’en est-il du rapport à la Bible ? L’item « entendre un commentaire du texte biblique » n’est retenu qu’en 5e position dans les deux enquêtes. Cela traduit chez les auditeurs, me semble-t-il, le refus d’un commentaire exégétique qui serait déconnecté de leurs questions personnelles. L’enjeu de la prédication est bien de faire parler le texte pour aujourd’hui – un « aujourd’hui » qui concerne plus leurs questions existentielles que les événements extérieurs (la réponse « réfléchir sur les événements contemporains » ne venant qu’en 5e ou 7e position).

Concernant les attentes des auditeurs à l’égard des prédicateurs, on peut distinguer deux attitudes : certains (majoritaires) souhaitent que le prédicateur les « amène à se poser des questions », tandis que d’autres, moins nombreux (en particulier dans l’enquête ERF) voudraient qu’il « dise clairement quelle est la volonté de Dieu aujourd’hui ».

Ces diverses attentes constituent des défis pour le prédicateur. Faut-il privilégier ainsi la dimension personnelle – alors que la foi chrétienne ne concerne pas seulement les individus, mais aussi notre façon de vivre ensemble en société ? Faut-il plutôt questionner ou apporter des réponses ?

Pour Wilfred Monod, « le pasteur, en chaire, […] est mandaté par la congrégation pour exprimer la doctrine et la morale de l’Église : la foi dont elle vit et l’idéal qu’elle se propose » (W.Monod, Notre culte). À en croire ses anciens étudiants, D. Bonhoeffer estimait au contraire que « pour chaque bonne prédication, il faut une certaine charge d’hérésie. C’est-à-dire que la prédication doit abandonner l’équilibre doctrinal, devenir unilatérale, prendre parti, courir le risque de franchir les bornes de ce qui est permis » (cité par A. Dumas, Une théologie de la réalité, D. Bonhoeffer).

Faut-il choisir entre ces deux conceptions ? Si la prédication doit nourrir la foi des auditeurs, cela ne signifie pas un discours clos, fait d’affirmations. La prédication doit les mettre en mouvement, en leur donnant à penser, à interroger leurs façons de voir, pour que la foi reste vivante.

Ce sont à mon sens G. Delteil et P. Keller qui expriment le mieux l’objectif de la prédication : « “Prêcher, selon Louis Simon, ce n’est pas parler, mais faire parler”. La prédication éveille l’auditeur à sa propre parole. Elle rompt avec une forme hiérarchique de communication, de maître à disciple. Ici, c’est l’auditeur qui compte et la réception qu’il opère de la parole entendue. Prêcher, c’est ouvrir un espace où l’autre puisse advenir à sa propre parole, en s’éveillant à la Parole. » (G. Delteil et P. Keller, L’Église disséminée. Itinérance et enracinement)

 

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Isabelle Grellier

est membre de l’Église protestante unie de France ; elle est professeure de théologie pratique à la Faculté de Strasbourg

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading