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Le hassidisme, mystique ancrée dans le monde

Dans le monde du rock’n’roll, les amplis guitare ont un volume qui va de 0 à 10. Mais quand il s’agit de décrire l’accès à une forme de transcendance (musicale ou autre), on dit qu’il faut « mettre l’ampli à 11 » … Pour un rabbin, rockeur et complètement passionné de mystique, il est tentant de dire que le hassidisme a poussé l’interprétation de la Torah au volume 11.

Mais qu’est-ce que le hassidisme ? Il a été popularisé en France par le personnage de Rabbi Jacob, mais son histoire est peu connue.

Le hassidisme est un courant mystique juif du XVIIIe siècle. Né en Pologne, il bouleverse le judaïsme en popularisant une interprétation de la Torah profondément originale ainsi qu’en renouvelant d’inspirantes pratiques spirituelles. Cela a été possible grâce à la créativité qui habitait le mouvement hassidique, mais en nous penchant sur la Torah, il est émouvant de constater que le mouvement n’a fait qu’amplifier ce qui se trouvait sous nos yeux. Prenons un exemple.

Dans la Torah, deux versets décrivent la relation qu’il est recommandé d’entretenir avec l’Éternel. D’un côté, nous avons : « Tu aimeras l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être et de toutes tes forces… » (Dt 6,5). Passons par l’hébreu. La racine du verbe aimer est Aleph-Heh-Vet. C’est cette même racine qui est utilisée dans le verset : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lev 19,18). En faisant résonner la logique de ces versets entre eux, nous pouvons en déduire que la Torah (re)commande d’aimer l’Éternel, l’Autre et nous-mêmes. Il y a dans cet amour une dimension aussi bien romantique et dévotionnelle que profondément éthique.

Cependant, dans un autre verset, c’est une forme de dévotion transcendantale qu’il est recommandé d’entretenir avec Dieu : « C’est l’Éternel, ton Dieu, que tu dois révérer, c’est lui que tu dois servir ; attache-toi à lui seul » (Dt. 10,20).

Si le verset fut interprété par les rabbins médiévaux de façon rationnelle (par un attachement à la loi), du côté des mystiques, son interprétation ne prendra pas la même tournure.

À travers les siècles, de la « simple » racine Daleth-Vet-Kof, les mystiques feront naître un concept entier : la devekut. La devekut est une forme d’union avec l’Éternel que l’on peut appeler en termes modernes : la Pleine Conscience de Dieu. À partir de ce verset naîtra l’idée que le mystique doit s’attacher à l’Éternel en flux continu. Pour le Baal Shem Tov, le sage autour duquel s’est construit le hassidisme, le mystique doit s’attacher à chaque lettre de chaque verset qu’il étudiera comme de chaque prière qu’il chantera. Plus encore, l’attachement à Dieu peut se passer à chaque instant du quotidien, même lors de nos conversations les plus anodines.

Le but de cette pleine conscience de Dieu est d’être dans une constante réalisation que « le monde entier est rempli de Sa gloire » (Es. 6,3) et de nous ouvrir le cœur par l’émerveillement afin de redoubler de sensibilité quant à la dimension éthique qui doit habiter nos existences.

Cependant, comme le rappellent les sages depuis le talmud, tout mystique doit savoir garder les pieds sur terre. Ce conseil se retrouve même dans la Torah, au plus profond de la racine D-V-K. En effet, comme une mise en garde, elle apparaît lors de situations extrêmes comme l’épisode de Sodome et Gomorrhe ou encore le viol de Dina. Depuis les temps bibliques, avant même que la pratique n’existe dans sa version moderne, la langue hébraïque a toujours porté en elle cet avertissement.

Alors, si l’on souhaite expérimenter la devekut et vivre dans cette pleine conscience de l’Éternel, puissions-nous le faire en gardant à l’esprit que l’important est d’être là dans cet équilibre entre soi-même, l’Autre et le Divin.

Et si l’on s’aventure un peu plus loin, comme le rappelle le rabbin Larry Tabick : « une vraie expérience mystique augmente notre sentiment d’appartenance au monde et ne la réduit pas ». Conseil avant de mettre le volume à 11 : il faut vérifier que l’ampli est bien branché !

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À propos Étienne Kerber

Après une carrière de dix ans dans la musique Rock avec son groupe Les Shades, Étienne Kerber devient rabbin au sein de la Communauté Juive Libérale. Passionné de mystique, de hassidisme et de méditation juive, il enseigne ces derniers à l’École Rabbinique de Paris. En Novembre 2021, il a sorti chez Actes Sud Chercher l’étincelle, un essai sur les enseignements du Baal Shem Tov, le fondateur du hassidisme.

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