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Quel « Monde d’après » ?

 

En temps de crise, on pense assez naturellement au « monde d’après », monde meilleur où l’on serait enfin débarrassés des soucis qui nous accablent. Mais ces lendemains qui chantent ne sont-ils pas une chimère ? Les « crises » se succèdent faisant penser que la « crise » est en fait un état permanent dont on espère toujours sortir pour un lendemain meilleur. C’est vrai, en ce sens que le fait même de vivre est de devoir lutter pour que la vie triomphe face à toutes les forces d’inertie, de destruction ou de mort qui la menacent.

 Quelles réponses à cette situation de combat permanent ?

Ce que l’on ne peut éviter, autant apprendre à l’aimer : puisque la situation de combat est constitutive du fait de vivre, autant voir cela comme une joie plutôt que comme une peine. Au lieu de se plaindre, de gémir, plutôt que de désirer un état de tranquillité où il n’y aurait aucune difficulté et qui n’arrivera jamais, autant choisir d’aimer la vie, et ainsi se jeter joyeusement dans le combat de la vie. La vie est une merveille improbable, menacée sans cesse de toute part. Un sujet qui ne lutte pas pour la vie est juste un mort. L’absence de combat, la paix et la tranquillité, nous aurons toute notre mort pour en profiter dans le Royaume éternel. Pour l’instant, c’est un honneur qui nous est donné, de pouvoir prendre part à l’œuvre créatrice de Dieu sur la Terre en luttant contre le tohu-bohu d’un univers matériel bien imparfait. Vive donc les difficultés, elles nous permettent de prendre part au combat créateur de notre Dieu ! Vive les crises, ce sont des moments de déstabilisation d’un monde matériel qui pouvait sembler figé et dans lequel tout à coup tant de choses nouvelles deviennent possibles !

L’idée de crise n’angoisse que le matérialiste imaginant que le monde doive rester immuable. Toute crise est le chancellement d’une idée fixiste du monde matériel où l’on se rend compte tout à coup que le monde n’est pas éternel et n’est pas fait pour rester toujours le même. Mais la foi chrétienne dans un Dieu créateur implique que le monde matériel n’est pas l’absolu. Donc non, les glaciers ne sont pas éternels, oui, l’économie est fluctuante, notre santé un miracle permanent et notre vie physique limitée. Cela n’est grave vraiment que pour ceux qui ont cru dans tout cela comme dans des absolus. C’est ce que la Bible appelle du nom d’idolâtrie : croire que ces éléments matériels non divins pourraient avoir la moindre consistance éternelle et penser en faire dépendre notre vie ou notre bonheur. Le chrétien, lui, ne met pas sa foi ou son espérance dans ce monde passager et mouvant, mais en un Dieu éternel, immuable et absolu qui, lui, ne peut être menacé par rien.

 Ne vous préoccupez pas du lendemain !

Mais il n’empêche que devoir vivre dans un monde incertain peut être angoissant. L’Évangile nous invite à nous dé-préoccuper du lendemain : Dieu prendra soin de nous et à chaque jour suffit sa peine (Mat. 6,34)… Il y a là une certaine sagesse : aujourd’hui, il y a un combat à mener, je le mène, demain on verra bien. Mais ce n’est pas sans promesse : quelle que soit la situation, nous aurons toujours en Dieu la ressource nécessaire pour vivre heureux, il sera possible d’aimer, et rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu (Rom 8,39).

Le chrétien donc évidemment s’engage dans le monde. Il lutte pour rester tant que possible en bonne santé, pour ne pas trop dégrader la Terre, il combat la misère et la pauvreté matérielles. Mais avec toujours un petit recul, une sorte de détachement, sachant que là n’est pas l’essentiel. « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice » (Matt. 6,33) nous dit le Christ. Voilà le vrai combat qui est celui du chrétien et c’est un combat qui n’est pas perdu d’avance comme celui de ce monde-ci, c’est une route glorieuse semée de joie sur laquelle nous pouvons toujours progresser, et pleine de tant de germes de vie que c’en est une merveille.

 Donne-nous aujourd’hui notre pain de demain

Mais le lendemain n’est pas évacué pour autant dans l’Évangile, et le Christ certainement ne méprise pas la difficulté que nous pouvons avoir de nous y projeter. On peut le voir dans cette demande du Notre Père qui est littéralement : « donne-nous aujourd’hui notre pain de demain ». Certains comprennent cela comme signifiant : « donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin pour vivre jusqu’à demain ». L’idée est belle. Pour vivre aujourd’hui, j’ai aussi besoin d’avoir une certaine confiance dans le lendemain. Et je sais que Dieu peut me donner tout ce dont j’ai besoin pour affronter ce lendemain qui n’est pas évident pour moi.

 L’attente réaliste d’une utopie

Mais ce « de demain » peut aussi être compris beaucoup plus largement, pas seulement comme le lendemain du calendrier, mais comme le lendemain eschatologique des fins dernières, l’éternité du Royaume de Dieu qui est au-delà de toute crise, et transcende toute mort.

Nous sommes en chemin vers le Royaume, et Dieu peut nous donner le pain immatériel de sa parole, de son amour pour nous permettre d’accomplir cette mission d’avancer vers ce but qu’il présente devant nous. Et aussi, cette vision du Royaume vers lequel nous sommes invités à marcher nous donne une dynamique. On ne peut en effet rester le regard fixé sur le présent, il faut savoir où l’on veut aller. Pour agir, il faut avoir une visée, faute de quoi nous ne ferions rien de bon que de tenter de survivre dans un monde hostile en luttant au coup par coup. Le chrétien doit aller tendu vers une direction dans laquelle il croit fermement, ce que la Bible appelle la foi. Cela, les théologiens savants l’appellent l’eschatologie, science des temps derniers, ce qui concerne le Royaume de Dieu promis et vers lequel nous nous dirigeons et pour lequel nous combattons. La prédication du Christ est en ce sens eschatologique, c’est un idéal, un plan pour orienter notre vie. Et heureux celui qui, quand il tourne ses regards vers le futur ne le fait pas vers ce qu’il craint, mais vers ce qu’il désire ardemment et au service duquel il veut se mettre.

Or ce plan est en fait irréalisable dans ce monde. L’idéal du Christ n’est pas une morale à appliquer, mais une direction ultime : aimer, pardonner, donner… Il ne dit pas combien il faut donner, ni comment il faut aimer, ou le nombre de fois qu’il faudrait pardonner, il faut juste aller dans cette direction, le plus possible.

C’est véritablement une « utopie » : non pas au sens commun d’absurdité, mais au sens propre d’une parole qui n’est pas applicable telle quelle, un idéal spirituel qui sans doute ne sera jamais réalisé, mais qui oriente toute la vie du chrétien et lui donne son sens. Et voilà le lendemain pour le croyant. Le monde de demain, c’est celui promis par Dieu, c’est le Royaume, c’est ce vers quoi il se tend pour en être un ouvrier, un soldat, un prédicateur, un prophète…

Le monde de demain sur cette Terre, il sera comme il sera, mais moi j’ai en Dieu une patrie qu’il m’a déjà offerte dans laquelle il n’y a ni pleur ni douleur, ni souffrance. Cela je l’ai déjà en Dieu, et je travaille à ce que ce monde, par-delà ses crises matérielles, puisse le connaître de plus en plus. Afin que, comme je le dis tous les jours dans ma prière, à la fois pour évoquer mon vœu le plus cher et ce pour quoi je souhaite combattre avec l’aide de Dieu : que la volonté de Dieu soit faite, rendant la Terre semblable au Ciel.

 

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À propos Louis Pernot

est pasteur de l’Église Protestante Unie de France à Paris (Étoile), et chargé de cours à l’Institut Protestant de Théologie de Paris.

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