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Pas de théologie sans linguistique

 

On dit parfois du christianisme qu’il est une religion du livre. Il serait sans doute plus exact de dire qu’il est une religion de l’analyse et de l’interprétation des textes bibliques. Cette analyse doit donc reposer sur une assise solide : celle du texte dans sa langue originale, l’hébreu et l’araméen pour le premier testament, le grec pour le second. C’est cette inquiétude du texte original qui animait les réformateurs, qui a aussi conduit certains théologiens de l’époque à s’interroger sur le lien entre l’hébreu et l’arabe.

Ce n’est cependant qu’au cours du XIXe siècle que l’étude comparative des langues se développa, principalement dans l’université allemande, et qu’elle fut conduite selon des principes rigoureux. Ainsi, furent observées des correspondances régulières entre le sanskrit, le gothique, le latin et le grec telles que celle de (1) :

(1) à /f/ en gothique correspond /p/ en latin, sanskrit, et grec, cf. pour l’équivalent du mot pied : gothique fotus, sanskrit pad, grec pos, latin pes.

Les lois qui régissent ces correspondances furent formulées de façon précise, et fut alors postulée l’existence d’un ancêtre commun à toutes les langues parlées en Europe (à l’exception du basque, du finnois et du hongrois), l’indo-européen. Selon les mêmes principes, fut établie l’existence d’une famille de langues que l’on nomme maintenant afro-asiatique (anciennement chamito-sémitique du nom de Cham et Sem, fils de Noé), au sein de laquelle on distingue plusieurs groupes. L’un de ces groupes est le sémitique. Un sous-groupe du sémitique est le sémitique de l’ouest dans lequel se trouvent entre autres le cananéen (un ensemble de dialectes parlés en Canaan depuis le deuxième millénaire avant J.-C.), l’arabe standard et l’araméen. L’hébreu ainsi que le moabite (dont des fragments sont attestés sur la stèle de Mésha), l’édomite et l’ammonite sont issus du cananéen. Sur un arbre généalogique, l’arabe serait donc non un descendant de l’hébreu comme cela fut imaginé naïvement (cf. le texte de P.-O. Léchot), mais comme l’araméen, un « oncle » de l’hébreu.

Ce sont les lois phonétiques telles que celles de (1) qui permettent de reconstruire un état de langue antérieur. Ainsi, dans le domaine sémitique a eu lieu ce qu’il est convenu d’appeler « le changement cananéen », une évolution affectant la voyelle longue /a/ qui a muté vers la voyelle longue /o/. Ce phénomène est présenté en (2) :

(2) /a/ cananéen évolue vers /o/. Ainsi : shalam -> shalom, rash (tête) ->rosh, arabe talat (trois) -> hébreu shalosh.

Le domaine d’application de ces lois est vaste et les exceptions sont généralement motivées (par exemple par des phénomènes comme l’accentuation).

L’intérêt majeur des lois telles que (1) et (2) est de permettre à l’analyse de s’affranchir des attestations externes (inscriptions, ostraka) et de reconstruire avec un fort degré de probabilité des états de langue non attestés, et d’autre part de préciser les liens qui existent entre les diverses langues d’une même famille.

À lire les articles de Patrick Andrist  » Érasme, le texte grec du Nouveau Testament… et l’ironie du destin «  et de Pierre-Olivier Léchot  » Lire la Bible au travers du Coran : les origines confessionnelles du comparatisme « 

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À propos Christian Bassac

est professeur honoraire de linguistique à l’Université de Lyon 2.

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