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Santé mentale et spiritualité au carrefour de la foi et de la science

 

Les miracles ne contredisent pas la nature, mais la connaissance que nous en avons              Saint Augustin

Les rapports entre psychiatrie et religion n’ont jamais été simples, à l’image des relations entre la foi et la science depuis le siècle des Lumières. La psychanalyse, à travers les commentaires de Freud sur l’infantile de l’humanité dans L’Avenir d’une illusion ont marqué le XXe siècle, empreint de positivisme et de matérialisme scientifique. Pourtant, aujourd’hui émerge un intérêt renouvelé pour les racines de la médecine. En effet, à l’aube de l’humanité le chamane était à la fois prêtre et médecin. Face à l’angoisse fondamentale, il était passeur de mondes, notamment grâce aux drogues enthéogènes (qui « rapprochent » de Dieu). Nos contemporains consultent les guérisseurs en parallèle à la médecine officielle, et de nombreux jeunes vont en Amazonie expérimenter l’ayahuasca pour faire des expériences mystiques. Quelles en sont les explications à la lumière des neurosciences cliniques actuelles ?

 Psychiatrie et spiritualité

L’objet de cet article est d’illustrer les mécanismes psychiques impliqués dans les phénomènes spirituels à travers l’expérience clinique du soussigné, spécialisé en psychiatrie communautaire, notamment dans le champ des addictions.

À titre préliminaire, on définira la spiritualité comme un besoin naturel et universel de lien et de sens, religieux ou non. La religion, quant à elle, est définie comme une réponse culturelle, traditionnelle et institutionnelle à ce besoin naturel, avec de grands Médiateurs.

La psychiatrie contemporaine accepte d’intégrer (difficilement) la spiritualité dans les considérations diagnostiques, mais reste très résistante aux religions. Dans la pratique clinique, on observe un évitement des médecins pour les questions spirituelles et religieuses, demandeurs. Les accusations de réduire la réalité à un seul de ses aspects sont réciproques : réductionnisme scientifique de la part des spirituels et réductionnisme religieux de la part des médecins. Ceux-ci sont mal à l’aise dans le domaine et ne savent pas comment se situer et investiguer, et ceux-là se sentent incompétents dans le champ scientifique. Il en résulte un grand désordre conceptuel.

 Ian Barbour

Au XXe siècle, un philosophe des sciences, Ian Barbour, décrit les rapports possibles entre la foi et la science en définissant quatre rapports types :

Un premier type est celui du conflit : la science ne reconnaît aucune validité à la foi et celle-ci affirme que la science ne comprend rien aux causes ultimes.

Un deuxième type est celui du parallélisme : la foi et la science s’ignorent, laissant les acteurs se déployer sans dialogue possible.

Un troisième type est celui du dialogue sur des zones-frontières, comme les phénomènes de mort imminente ou l’effet placebo.

Enfin un quatrième rapport est fait de l’intégration : les deux parties admettent que chacune apporte un regard complémentaire sur la même réalité.

Cette typologie est très utile pour distinguer les différents niveaux logiques qui s’affrontent en médecine et en psychiatrie, notamment en addictologie.

 Addictologie

Les addictions concernent les dépendances soit à des actes répétitifs (internet, achats compulsifs, etc.) soit à des substances psychoactives (alcool, drogues, etc.). Elles représentent une pathologie complexe, typique de nos sociétés modernes, qui mobilise de nombreux savoirs dans la construction d’une nouvelle science clinique et interdisciplinaire, l’addictologie. Les problèmes de santé mentale sont devenus la première priorité de santé publique dans le monde. Dépression, addiction et agression sont dans le trio de tête. Ces pathologies nécessitent de l’intelligence collective et de nombreuses collaborations pour conduire les patients de la rue au rétablissement.

De récentes recherches ont montré l’importance sous-jacente des antécédents psychotraumatiques comme facteurs de vulnérabilité pour les pathologies psychiatriques, comme la maltraitance ou les abus pendant l’enfance et l’adolescence. La psychotraumatologie (étude des traumatismes psychiques) a mis en évidence la difficulté à donner du sens et à établir des liens chez ces patients. Cette vulnérabilité est un facteur explicatif pour l’efficacité des approches spirituelles en psychiatrie. Dans les addictions, nous connaissons bien l’efficacité du mouvement Alcooliques Anonymes, fondé sur une spiritualité non religieuse et sur la parole en groupe, incluant la prière de la sérénité. Il s’agit là d’un exemple de spiritualité intégrée aux soins qui a fait ses preuves. D’ailleurs de très nombreuses études épidémiologiques, principalement anglo-saxonnes, ont montré le fort impact favorable de la spiritualité dans les addictions, tant pour la prévention que pour le rétablissement.

 Aumônerie en psychiatrie

A la lumière de ces données, nous avons intégré au Centre hospitalier universitaire vaudois à Lausanne (CHUV) un accompagnement par des aumôniers dans le service d’addictologie : un groupe de parole hebdomadaire permet aux patients d’échanger leurs expériences dans ce champ, comme des souvenirs de voyage en Orient, des racines culturelles différentes, ou de conscience modifiée par les drogues. De plus nous avons organisé un groupe régulier de méditation en pleine conscience, centré sur la prévention des rechutes. Ces travaux sont accompagnés par une activité de supervision des aumôniers en psychiatrie de Suisse romande, qui permet des échanges croisés sur « psy et spi ». La typologie de Barbour est un excellent instrument de communication à cet effet.

Dans cet esprit se développe au CHUV une plateforme « Médecine, soins, spiritualité et société » (MS3), soutenue par le Décanat de la Faculté, qui soutient les projets d’innovation dans le domaine. Un « Certificate of advanced studies » (CAS) est en cours pour un public interdisciplinaire impliqué dans l’accompagnement spirituel et des soins.

 Neurothéologie

Mais quels sont les mécanismes qui expliquent l’efficacité de la spiritualité sur la santé, notamment psychique ? La psychanalyse avait déjà ouvert une trace avec les réflexions de Freud sur la sublimation ou de Jung sur l’individuation. Deux rescapés d’Auschwitz ont également apporté une contribution majeure : Aaron Antonovsky, un sociologue médical, avait noté le besoin de cohérence pour survivre, la cohérence étant le fondement de la salutogenèse, à savoir ce qui oriente vers la santé dans l’avenir de la personne (salus signifiant en latin aussi bien le salut que la santé). Viktor Frankl, psychanalyste et neurologue contemporain de Freud, avait pour sa part relevé la volonté de sens, notant que si on refoule l’inconscient spirituel, on assiste à ce qu’il a nommé le vide existentiel, source de névrose de civilisation, dont les symptômes sont la dépression, l’agression et l’addiction.

Quels sont les fondements scientifiques de ces observations cliniques ? Les neurosciences de l’addiction ont montré l’implication prioritaire du cerveau des émotions, sous-cortical, hérité de l’évolution, pour la prise de décision dans les addictions. C’est le cerveau des émotions qui obtient la priorité décisionnelle dans les décisions des addicts, au moyen des circuits d’alerte, de motivation, ou de la récompense. Ceci explique pourquoi le discours rationnel n’est pas performant dans le traitement des addictions, car il n’atteint pas le niveau émotionnel. De plus, par le mécanisme de la plasticité neuronale, largement inconscient, le patient s’enfonce dans l’automatisation de ses comportements. Face à ce mécanisme, une technique comme la méditation en pleine conscience a montré sa capacité à restaurer l’autonomie du sujet, en quelque sorte par une désautomatisation cognitive et affective (en reprenant le contrôle des pensées et des émotions spontanées).

Les recherches sur les neurosciences de la spiritualité ont montré que ce sont ces mêmes circuits sous corticaux qui sont impliqués pour vivre une expérience spirituelle. Ils sont capables de donner de la satisfaction dans le lien et le sens, produisant même des hormones de plaisir et d’attachement dans les activités de recueillement individuel et communautaire.

C’est une nouvelle science interdisciplinaire émergente, la neurothéologie, qui viendra éclairer sous un jour nouveau les rapports entre la foi et la science en avançant vers le quatrième niveau de la typologie de Barbour.

Pour aller plus loin : Jacques Besson, Addiction et spiritualité. Spiritus contra spiritum, Toulouse, Erès, 2017. Une sélection bibliographique autour de cet article est disponible sur notre site web.

 

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À propos Jacques Besson

est Professeur honoraire de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, Suisse. Il est psychiatre et spécialiste des addictions.

Un commentaire

  1. tamialain@gmail.com'

    Bonjour et désolé: je ne trouve pas la sélection bibliographique dont il est fait mention.
    « Pour aller plus loin : Jacques Besson, Addiction et spiritualité. Spiritus contra spiritum, Toulouse, Erès, 2017. Une sélection bibliographique autour de cet article est disponible sur notre site web »
    Merci de m’aider
    Alain HENNEBICQ

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