Pour aller en prison, l’aumônier (chrétien, du moins), a en mémoire cette phrase de l’évangile de Matthieu : « J’étais en prison et vous m’avez visité » (Mt 25,36). Mais il faut un certain temps pour que cette phrase fasse son chemin et devienne une réalité dans le ministère d’aumônier. Bien souvent, l’aumônier fait cette étrange expérience de se sentir visité par les personnes détenues qu’il rencontre ! Lorsqu’il entre en prison, il laisse son identité dans le casier de l’entrée. En échange, il reçoit un badge avec écrit « aumônier », qui lui permet de circuler en détention. Dans un lieu où chacun a sa place et sa fonction, l’aumônier est seul, voire « nu », confronté à toute absence de pouvoir personnel. Il est face à chacun de ceux qui sont dans la prison, qui deviennent, de fait, son « prochain », c’est-à-dire, le plus proche.
L’aumônerie est une des rares zones de liberté de la personne détenue. Lorsque l’aumônier lui rend visite, elle peut accepter ou refuser cette visite. Il est important que l’interlocuteur de l’aumônier se perçoive comme son égal, en réciprocité, pour que le dialogue puisse naître. Qu’est-ce donc que cette égalité-là ? Où peut-elle se situer ? Elle est au-delà des actes, des comportements, des mots mêmes, à travers des silences, des regards… Elle s’établit, elle se vit… Elle est théologiquement juste : « Nous sommes tous des pécheurs pardonnés », selon l’expression du réformateur Martin Luther. Celui que l’aumônier rencontre ne pourra évoluer que s’il sent que l’aumônier est lui-même capable d’évolution. Derrière les murs des prisons, il y a des êtres humains, que parfois la presse n’hésite pas à cataloguer de monstres, pour certains. Nous-mêmes, nous ne valons pas mieux que la presse, qui finalement dit parfois tout haut ce que nous pensons tout bas. Dans la foi chrétienne, l’être humain n’est pas réduit aux actes qu’il commet. Au regard de Dieu, il vaut toujours plus que ses actes, aussi horribles soient-ils.
Les raisons pour lesquelles les personnes détenues viennent dans un groupe biblique, en prison, sont vraiment obscures, sinon inconnues. Lorsqu’elles travaillent ensemble, l’aumônier sait, plus ou moins, pourquoi elles sont là. Mais pour rencontrer ces personnes en vérité, mieux vaut oublier les raisons de leur incarcération et ne pas chercher à savoir, pour éviter tout jugement qui fausserait la relation. Car on ne regarde pas avec les mêmes yeux une personne qui a détourné l’argent de son entreprise, ou volé un camion rempli de bouteilles de champagne, et une autre qui a laissé son enfant être violé par son conjoint. Il va de soi que l’aumônier reçoit en plein cœur la réalité humaine de ce que vit une partie de notre société, toutes couches sociales confondues.
En prison, ce sont des hommes et des femmes que nous rencontrons, et non pas des faits divers. Ce sont des êtres humains, brisés et déchirés, pour le plus grand nombre, par ce qu’ils ont fait, abandonnés des leurs, dans une indigence insoupçonnable pour certains, et d’autres, enfermés dans leur acte qui les conduira peut-être au suicide. Parfois, l’aumônier est la seule personne de l’extérieur qu’ils rencontrent en dehors de l’avocat. Alors, à chaque rencontre, à chaque étude biblique, les aumôniers marchent sur des œufs. Sans le savoir, bien des personnes détenues leur ont apporté des éclaircissements bibliques au-delà de ce qu’ils avaient imaginé, et qui ont nourri avec précision la prédication du dimanche suivant. Lorsqu’on est pasteur en paroisse, et simultanément aumônier de prison, on peut prendre conscience de cette belle richesse complémentaire. L’aumônerie en prison est souvent un ministère « d’avant-garde » et un lieu d’innovation de la prédication. Annoncer l’amour de Dieu pour les plus pauvres, c’est leur dire, et cela, sans pour autant minimiser l’acte pour lequel ils sont enfermés, « quoi que tu aies fait, tu restes enfant de Dieu, quoi qui te soit reproché, tu restes aimé de Dieu et, en Christ, tu as un frère ». Un reflet visible de la grâce invisible.
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