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Nous sommes tous des héritiers de Schleiermacher

Avec la vague barthienne, une frontière indépassable semble s’être installée dans le paysage de la théologie protestante. D’un côté, les libéraux, attachés à une valorisation de la modernité au travers d’un programme théologique concentré sur l’homme, de l’autre, une approche soucieuse de souligner la différence indépassable entre Dieu et ses créatures, par ailleurs plutôt critique envers la modernité. Cette vision des choses, largement colportée par les disciples de Karl Barth, impliquait en outre de voir en Schleiermacher, le « Père » du libéralisme théologique, un auteur en rupture avec la tradition de la Réforme protestante. Toutes ces lectures, largement motivées par des visions partiales, ont fort heureusement volé en éclat ces dernières années. Il est désormais acquis que Schleiermacher enracina sa théologie dans une reprise critique des principaux axes de la théologie des Réformateurs. Par ailleurs, on insiste beaucoup plus, de nos jours, sur le rapport complexe entretenu par Barth avec Schleiermacher : pour Barth, Schleiermacher restait en effet le plus important théologien protestant de la modernité. Enfin, on a montré que le concept même de « libéralisme », en Allemagne du moins, fut surtout un concept « fourretout » développé par les adeptes du barthisme soucieux de se construire un adversaire à leur mesure alors que la pensée de Barth était, elle aussi, enracinée dans certains courants de pensée typiques du « libéralisme ». Bref, les historiens de la théologie ont fait leur travail : complexifier ce qui pouvait apparaître comme trop simple au premier coup d’œil. Mais quelles conséquences tirer de ces éléments esquissés ici à grands traits ? Je retiens pour ma part trois points. Tout d’abord, la pensée de Schleiermacher est un point nodal du développement de la théologie protestante que l’on ne peut ignorer : même si elle peut être critiquée, elle a marqué la réflexion protestante moderne jusqu’à nos jours, qu’on le veuille ou non. Ensuite, la pensée de Schleiermacher est celle qui a fait entrer de manière irréversible la dimension subjective de la foi dans le champ de la théologie. Depuis Schleiermacher, la foi est d’abord conçue comme une affaire de subjectivité, de conviction ou de « sentiment » (pour reprendre son expression favorite), bien plus que comme une affaire de « connaissance » ou de « savoir ». Même si cette insistance sur la foi comme sentiment trouve ses racines protestantes chez Luther ou les piétistes, c’est à Schleiermacher que nous devons de considérer la foi comme une affaire de subjectivité et la théologie comme une reprise critique et constructive de cette dimension subjective. Enfin, cette approche nouvelle de l’œuvre de Schleiermacher, valorisée aussi bien par des « libéraux » que par certains « barthiens », me semble interdire un retour non-critique à la foi supposée des Réformateurs ou des textes bibliques, dans la mesure où nous nous devons de faire droit à l’idée centrale de la pensée de Schleiermacher selon laquelle la foi est subjectivité. Bref, nous sommes tous des héritiers de Schleiermacher !

 

 À lire l’article de Jean-Marc Tétaz  » Friedrich D. E. Schleiermacher (1768-1834), modernité et subjectivité  »  et la traduction de Bernard Reymond  » La prière au nom de Jésus ».

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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