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Friedrich D. E. Schleiermacher (1768-1834), modernité et subjectivité

 

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Caspar David Friedrich, La Mer de glace (1823-1824). Huile sur toile, Hambourg, Kunsthalle. Photo Wikimedia © C.C.

Faut-il que le nœud de l’histoire se défasse ainsi ? Que le christianisme s’allie à la barbarie et la science à l’incroyance ? » Cette question angoissée posée par Schleiermacher en 1829 dans une lettre ouverte adressée à son ancien élève Friedrich Lücke, devenu professeur de théologie à Göttingen, fait apparaître le spectre que Schleiermacher combattit durant toute sa vie de pasteur, d’intellectuel engagé, de scientifique et de professeur d’Université : un christianisme qui deviendrait une subculture close sur soi, transformant la foi chrétienne en une idéologie en opposition et en rupture avec le monde intellectuel et scientifique de la modernité. Une telle évolution, dont Schleiermacher craignait de voir les prémices dans les mouvements de réveil qui s’alliaient alors à la réaction politique pour tenter de refouler les influences du libéralisme partout où ils croyaient les identifier, aurait marqué la rupture de l’alliance entre le christianisme et la culture scellée par la Réforme du XVIe siècle. Car, pour Schleiermacher, la Réforme avait voulu « fonder un contrat éternel entre la foi chrétienne vivante et la recherche scientifique rendue pleinement autonome » ; cette alliance, il convenait de la renouveler dans les conditions créées par le monde moderne, à la constitution duquel Schleiermacher assistait et qu’il entendait bien orienter dans une direction qui assurât la pérennité du contrat conclu au XVIe siècle.

Le « Père de l’Église » du protestantisme moderne

Nul mieux que lui ne pouvait se faire le héraut de ce contrat: Schleiermacher incarnait en quelque sorte l’alliance entre le christianisme et la science, en témoignent ses nombreuses charges: prédicateur assidu rassemblant dimanche après dimanche un auditoire important dans l’église de la Trinité dont il était le pasteur réformé depuis 1809, haut fonctionnaire en charge des réformes scolaires et de la création de l’Université de Berlin puis secrétaire de l’Académie des Sciences de cette ville, traducteur de Platon, professeur de théologie d’abord à Halle entre 1804 et 1806, puis, dès 1810, à Berlin où il enseignait également la philosophie avec des collègues comme Fichte ou Hegel. C’est à ce titre qu’il est reconnu comme le « Père de l’Église » du protestantisme moderne.

Schleiermacher est né à Breslau, en Silésie (aujourd’hui Wroclaw en Pologne), le 21 novembre 1768. La ville appartenait alors au Royaume de Prusse. Son père était aumônier militaire réformé dans l’armée prussienne. Proche des Frères moraves, il plaça son fils dans les institutions de formation de ces derniers, le destinant ainsi à une carrière pastorale au sein de ce mouvement, l’une des formes prises par le piétisme. Mais Schleiermacher ne tarda pas à se distancer de la théologie des Frères moraves. Il demanda à son père de pouvoir poursuivre ses études à l’université de Halle, alors un haut lieu de la théologie et de la philosophie des Lumières. Après la réussite de ses examens et quelques années comme précepteur dans une grande famille de la noblesse prussienne, les comtes de Dohna, Schleiermacher commença une carrière pastorale. Son premier poste le vit aumônier de La Charité, le grand hôpital de Berlin (1796-1802). Durant ces quelques années, Schleiermacher noua des liens étroits avec le mouvement romantique, fréquenta assidûment les salons berlinois et publia ses deux premiers ouvrages, les discours De la religion (1799) et les Monologues (1800). En 1802, il fut nommé prédicateur à Stolp, une petite ville de Poméranie dans laquelle il se sentait en « exil ». En 1804, il fut appelé à l’université de Halle, comme professeur de théologie et prédicateur de l’université. Il n’y enseigna que deux ans. Après la défaite des troupes prussiennes en 1806, la ville de Halle fut en effet annexée au royaume de Westphalie et l’université fut fermée par les autorités d’occupation françaises.

En 1807, Schleiermacher retourne à Berlin. Il y restera jusqu’à sa mort le 12 février 1834. Outre ses activités d’érudit, de prédicateur, de traducteur et de professeur d’université, il y déploie une intense activité politique. Proche des hommes qui mettent en œuvre les réformes politiques prussiennes après la défaite face aux troupes napoléoniennes, Schleiermacher défend une politique libérale prônant une monarchie constitutionnelle et une autonomie de l’Église par rapport à l’État. Cet engagement lui vaut d’être bientôt l’objet de brimades, et même d’une surveillance policière, lorsque le vent politique tourne et que le gouvernement prussien adopte une ligne conservatrice, voire réactionnaire. Il s’en faut de peu pour que Schleiermacher perde son poste en 1819, comme son ami et collègue Wilhelm Martin Leberecht de Wette, qui devient professeur de théologie à l’université de Bâle.

 Une théologie « protestante » et non plus seulement calviniste ou luthérienne

En France, Schleiermacher reste peu connu, et peu lu. Hors des cénacles théologiques, on le cite volontiers comme le fondateur de l’herméneutique moderne, cette discipline qui s’interroge sur les principes et les méthodes de l’interprétation des textes. Une réputation d’ailleurs un peu abusive, ainsi que l’a montré la recherche de ces dernières décennies : l’herméneutique moderne naît à l’époque des Lumières, dont Schleiermacher est l’héritier. Quant aux théologiens, ils ne pouvaient guère lire en français que ses célèbres discours De la religion adressés « aux hommes cultivés parmi ses mépriseurs ». Parus en 1799, ils constituent le manifeste d’un christianisme romantique se démarquant de la théologie volontiers moralisatrice et rationalisante des Lumières pour redécouvrir l’expérience religieuse comme cœur vivant du christianisme. Mais son grand œuvre, Der christliche Glaube: Nach den Grundsätzen der evangelischen Kirche im Zusammenhange dargestellt (« La foi chrétienne exposée dans sa cohérence, selon les principes de l’Église protestante ») (1821/22 ; 2e édition 1830/31) *, est resté inaccessible au lecteur francophone jusqu’à la parution toute récente de la traduction de la première édition, due au méticuleux travail de Bernard Reymond. Ce texte est pourtant essentiel si l’on veut comprendre en quel sens Schleiermacher entend à la fois s’inscrire dans l’héritage de la Réforme et en poursuivre le travail dans un esprit fidèle au contrat entre christianisme et science fondé au XVIe siècle.

Le titre donné par Schleiermacher offre quelques indications précieuses : il s’agit d’une présentation de « La foi chrétienne exposée dans sa cohérence, selon les principes de l’Église protestante ». Dans ce titre, chaque mot est important. Et chaque formule doit être bien comprise pour saisir l’intention de Schleiermacher. L’ouvrage entend être fidèle aux « principes de l’Église protestante » ; cette fidélité se marque dans le texte par les références constantes aux confessions de foi de la Réforme. Mais, et le choix du mot est important, il s’agit des principes de l’Église « protestante » ; il faut comprendre : ni réformée, ni luthérienne. Pour Schleiermacher en effet, les divergences doctrinales du XVIe siècle ont perdu toute pertinence théologique ; elles ne sauraient par conséquent justifier que perdure la division des protestants en deux Églises distinctes, réformée et luthérienne, qui se frappent réciproquement d’anathème. Schleiermacher se fera ainsi l’un des promoteurs de l’union des Églises protestantes de Prusse dans l’Église prussienne de l’Union, qui fut proclamée par le roi de Prusse le jour anniversaire des 300 ans de la Réforme (31 octobre 1817). La cohérence de la foi de Schleiermacher, qui paraît quatre ans plus tard en 1821, est du coup le premier exposé doctrinal de l’Église protestante unie.

Pour Schleiermacher, dépasser les divisions confessionnelles issues de la Réforme, ce n’est pas être infidèle à l’héritage des Réformateurs ; c’est bien plutôt amener à son terme un processus commencé au xvie siècle mais resté alors inachevé. Cette figure d’une poursuite du travail commencé à la Réforme oriente tout le travail théologique et ecclésial de Schleiermacher. Il commande en particulier la reformulation systématique qu’il entreprend dans La cohérence de la foi. Car, et c’est un autre trait caractéristique de la façon dont Schleiermacher comprend la tâche d’une exposition dogmatique, ce qui distingue l’exposé dogmatique  d’une présentation catéchétique ou homilétique de la foi chrétienne consiste justement en ceci que l’exposé dogmatique vise à la cohérence systématique, aussi bien dans l’agencement des contenus que dans l’élaboration conceptuelle.

 La conscience croyante au cœur du travail théologique

L’essentiel est toutefois le choix du terme « la Foi chrétienne » comme titre principal. Dès les discours De la religion, Schleiermacher avait récusé toute conception de la foi comme assentiment donné à des énoncés historiques ou comme reproduction des expériences d’autrui ; la religion, écrivait-il en 1799, « n’est ni esclavage ni captivité ». Elle ne saurait donc se réclamer de révélations ou de miracles du passé, pas plus qu’elle ne saurait se fonder sur l’autorité d’écrits réputés inspirés, fût-ce la Bible. À cette religion d’emprunt, Schleiermacher avait opposé l’exigence d’une expérience religieuse personnelle, immédiate, quand bien même la plupart des hommes ont besoin d’un « médiateur » pour parvenir à cette expérience religieuse. Pour l’orateur des discours De la religion, chacun doit faire l’objet d’une révélation, c’est-à-dire d’une expérience religieuse originelle ; et tout individu qui a fait l’objet d’une telle expérience doit être capable de rédiger ce qui sera pour lui une Écriture sainte.

Ces formulations sont certes marquées par les conceptions du mouvement romantique, auquel le Schleiermacher de ces années participe activement. (Schleiermacher ne les reprendra d’ailleurs pas dans les éditions ultérieures de son livre.) Il n’en restera pas moins fidèle aux convictions fondamentales qu’il avait exprimées en 1799 ; elles forment le noyau de sa théologie. Ce qui variera, ce sont les registres dans lesquels il les explicitera.

Dans La cohérence de la foi, cette expérience religieuse immédiate est désignée par le terme de « piété ». Telle que la comprend Schleiermacher, la « piété » consiste en ceci que la conscience que l’individu a de lui-même est entièrement déterminée par la conscience que ce même individu a de Dieu. La conscience de Dieu est en quelque sorte le moteur et le principe de la façon dont l’individu agit dans le monde, dont il comprend le monde et se comprend lui-même au sein du monde. Cette piété ne se fonde pas sur l’autorité reconnue par avance à la Bible ; au contraire, c’est la foi, et elle seule, qui confère à la Bible « sa dignité spécifique ». Du coup, la doctrine de l’Écriture n’est plus un préalable à la dogmatique, mais l’une des sections de la doctrine de l’Église. On ne peut indiquer plus clairement la priorité de l’expérience religieuse par rapport à l’autorité de l’Écriture.

La tâche de la dogmatique consiste donc à exposer de façon systématique les contenus de la conscience croyante. L’objet de la dogmatique n’est pas la doctrine que l’on pourrait extraire de l’Écriture (et encore moins des confessions de foi ou des décisions conciliaires), mais les états de la conscience croyante (dépendance absolue, déplaisir dû au péché, plaisir dû à la rédemption). La dogmatique est donc essentiellement description des états de la conscience croyante. Mais toute conscience est conscience de quelque chose. Pour cette raison, la description des états de la conscience croyante ouvre sur des énoncés portant sur les attributs divins et sur des énoncés portant sur la réalité du monde.

Jésus-Christ, archétype de l’homme

La communication religieuse consiste alors à présenter la façon dont l’homme se comprend lorsque tout son être est déterminé par la conscience de Dieu. C’est le rôle du médiateur en matière de religion. Cette présentation invite l’auditeur à se comprendre de la même façon, à adopter la même « forme de vie ». Jésus-Christ est, en ce sens, le médiateur par excellence, celui qui a introduit dans le monde cette nouvelle forme de vie qu’est le christianisme. Aussi est-il pour Schleiermacher à la fois le rédempteur et celui par lequel la création est amenée à son accomplissement. Il est le rédempteur en ceci qu’il libère la conscience de Dieu et lui confère par son exemple la force nécessaire pour déterminer intégralement une existence humaine ; a contrario, une existence humaine dans laquelle la conscience de Dieu ne parvient pas à déterminer chaque instant de la vie est une existence pécheresse. Dans la mesure où une existence humaine entièrement déterminée par la conscience de Dieu est une existence qui réalise pleinement la détermination de l’homme à participer à la félicité, Jésus-Christ est l’archétype de l’homme (et pas seulement un modèle de vie morale comme le comprenait souvent la théologie des Lumières). C’est donc justement en tant qu’il est le rédempteur que Jésus-Christ amène la création à son accomplissement.

La réflexion sur la personne et sur l’œuvre du Christ constitue le centre de la théologie de Schleiermacher. Elle fournit du coup un excellent exemple de la façon dont Schleiermacher entreprend de poursuivre le travail de reformulation doctrinale mis en œuvre par la Réforme, mais resté alors inachevé. Schleiermacher récuse ainsi la façon de comprendre la personne du Christ héritée des conciles des IVe et Ve siècles : parler de deux natures unies en une seule personne, comme le concile de Chalcédoine (457 après J.-C.), ne permet pas de comprendre en quoi consiste la spécificité de la personne de Jésus de Nazareth. Cela ne permet surtout pas de comprendre comment le Christ pouvait être une personne au sens où nous utilisons ce mot aujourd’hui. Les formules purement négatives du concile de Chalcédoine (les deux natures sont unies en une personne « sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation ») sont en outre incapables de fournir une règle (un « canon », écrit Schleiermacher) pour la prédication de l’Église. Qui s’intéresse de plus près à la critique de Schleiermacher lira avec profit le § 117 de La cohérence de la foi. Bref, il faut remettre l’ouvrage sur le métier.

 Subjectivité et histoire

Pour cela, Schleiermacher recourt à ce qu’on peut considérer en 1820 comme le modèle anthropologique le plus moderne : la théorie de la subjectivité héritée de Kant et de Fichte. Cette théorie explique ce qu’est l’être humain à partir de la manière dont celui-ci est toujours conscient de ce qu’il fait et de ce qu’il ressent, et dont il fait la synthèse pour donner sens à sa vie au sein du monde. C’est dans ce cadre que Schleiermacher propose de reformuler la christologie pour faire comprendre le Christ comme le paradigme de l’homme accompli, c’est-à-dire un homme dont la façon de se comprendre est tout entière déterminée par la conscience de Dieu, au point qu’on puisse dire qu’un « être de Dieu » est présent en lui. C’est cet être de Dieu présent en lui que Jésus de Nazareth donne à voir dans toute sa vie et qui fait de lui le Christ. Et c’est cet être de Dieu qui doit être toujours davantage présent dans celui qui participe à la vie nouvelle instituée par Jésus de Nazareth.

En reformulant la doctrine du Christ dans le cadre d’une théorie de la subjectivité, Schleiermacher peut d’un coup sortir des difficultés posées par la doctrine classique à laquelle les Réformateurs étaient restés fidèles et proposer une manière de comprendre le Christ en prise directe avec la façon dont, à son époque, on comprenait ce qui fait la spécificité de l’être humain. Ce lien entre la réflexion contemporaine sur l’être humain et le travail théologique sur la personne du Christ est sans conteste quelque chose que la réflexion théologique d’aujourd’hui peut apprendre de Schleiermacher.

Mais ce n’est là qu’un aspect de la refonte critique à laquelle Schleiermacher soumet la doctrine du Christ. L’autre point qu’il faut relever est le suivant. La dignité d’archétype du Christ est « inséparable » de son existence historique. C’est comme personne historique concrète que Jésus de Nazareth est le rédempteur et l’archétype dans lequel s’accomplit la création. Mais cela ne signifie pas pour autant que croire en Jésus de Nazareth comme rédempteur implique de croire à tous les faits rapportés à son sujet dans le Symbole des Apôtres. Comprendre la chose de cette façon serait revenir à cet « esclavage » que Schleiermacher dénonçait dans les discours De la religion. La foi ne consiste pas à acquiescer à des énoncés portant sur des événements historiques, qu’il s’agisse de la naissance virginale, de la résurrection ou de l’ascension, mais à trouver dans ce que Schleiermacher appelle « l’impression totale » faite par Jésus de Nazareth cette forme de vie nouvelle à laquelle le chrétien participe. Du coup, la dogmatique peut laisser toute liberté à la critique historique. La dignité reconnue à la personne de Jésus-Christ ne dépend pas de la vérité de tel ou tel fait historique.

 Nature et prière au nom de Jésus

Cette refonte de la conception du Christ s’inscrit dans un cadre plus vaste, défini par la transformation à laquelle Schleiermacher soumet la doctrine de la création. Schleiermacher y répudie toute idée d’un commencement temporel du monde, donc d’un acte de création au sens traditionnel du mot. Il remplace la doctrine de la création par une doctrine de conservation du monde. Il peut intégrer dans ce cadre une réflexion sur la nature comme réalité se développant progressivement selon des lois spécifiques, en accord avec la philosophie de la nature développée à la même époque par Schelling. Mais surtout, Schleiermacher peut alors comprendre Dieu comme le principe de toute activité et de toute causalité, comme « intériorité absolue » et comme « vitalité absolue » (La cohérence de la foi, § 65,3). Ainsi conçu, Dieu n’est pas une personne ; il est le principe actif de tout ce qui existe, d’une nature comprise comme une sorte de grand organisme qui se développe en vue d’atteindre son plein accomplissement et dans lequel l’activité de l’être humain doit s’inscrire pour contribuer à cette pleine réalisation. C’est là une conception panthéiste, qui rejoint nombre d’intuitions de Spinoza, même si Schleiermacher ne reprend pas à son compte la doctrine spinoziste telle que l’expose l’Éthique de ce dernier.

Cette atmosphère spinoziste sous-tend toute la théologie et la philosophie de Schleiermacher. Elle trouve une expression particulièrement claire dans le paragraphe consacré à la prière au nom de Jésus (voir l’extrait proposé par Bernard Reymond). Prier au nom de Jésus, c’est se placer dans le mouvement au gré duquel la nature se déploie et se développe et faire siennes les finalités du tout ; en termes plus théologiques, on parlera volontiers du « gouvernement divin du monde ». Du coup, celui qui prie au nom de Jésus reconnaît dans le monde l’œuvre de la sagesse divine, c’est-à-dire la manière dont Dieu se communique lui-même dans le gouvernement du monde (§ 184). Aussi « tout dans le monde doit être rapporté à la révélation rédemptrice de Dieu dans l’exacte mesure où tout est attribué à la sagesse divine » (§ 184,3). Le monde objet de la sagesse de Dieu peut alors être reconnu comme « le meilleur monde ». Prier au nom de Jésus, c’est par conséquent inscrire sa propre vie et sa propre action dans ce « meilleur monde », et collaborer ainsi à l’œuvre de la sagesse divine. Dans la seconde édition de La cohérence de la foi, Schleiermacher a ajouté dans le paragraphe sur la prière au nom de Jésus une remarque qui souligne, si besoin est, ce caractère spinoziste : prier au nom de Jésus, c’est prier pour que tous « puissent être amenés toujours davantage à la pure joie en Dieu par les faits du gouvernement divin du monde […] » (§ 146,2 ). La « pure joie en Dieu », telle est aussi la félicité à laquelle l’Éthique de Spinoza conduit son lecteur comme à l’accomplissement spirituel de l’être humain dans l’amour de Dieu.

* Une traduction française par Bernard Reymond de ce texte dans son édition de 1821-1822 est parue en novembre aux éditions Labor et Fides sous le titre La cohérence de la foi. Pour la facilité du lecteur, nous utiliserons ce titre dans la suite de cet article.

À lire l’article de Pierre-Olivier Léchot  » Nous sommes tous des héritiers de Schleiermacher «  et la traduction de Bernard Reymond  » La prière au nom de Jésus « 

 

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À propos Jean-Marc Tétaz

(Lausanne), est théologien et docteur en philosophie ; traducteur de Schleiermacher, Harnack et Troeltsch. Il a enseigné aux Universités de Bochum, Lausanne et Fribourg ainsi qu’à l’EHESS et à Moscou. Il est spécialiste de la philosophie et de la théologie modernes.

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