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7. Le problème du mal

Louis Pernot 3Une objection fréquente à la foi est de dire : « Je ne peux pas croire qu’il y ait un Dieu, avec tout le mal qu’il y a dans le monde. » Cette question n’est pas neuve et n’est pas vraiment une objection : de très nombreuses explications ont été trouvées pour y répondre. La science qui traite de cette question est appelée « théodicée », étymologiquement : la justification de Dieu.

Parmi les réponses données habituellement, il y en a de mauvaises.

La première est que le mal serait une punition de Dieu, une conséquence du péché. Il est certain que nos erreurs peuvent produire du mal, mais Dieu, lui, ne punit pas ; et le mal, bien sûr, atteint même les justes. Cela est dit explicitement dans l’Ancien Testament avec Job, et dans bien des passages des évangiles (l’aveugle de naissance, en Jn 9, ou la tour qui s’effondre sur les Galiléens, en Lc 13).

Une autre idée parfois évoquée est que le mal serait une épreuve envoyée par Dieu pour tester la fidélité du croyant. Cela peut se trouver dans le livre de Job, mais à partir du Nouveau Testament, on ne peut penser que Dieu puisse être source de mal ou de souffrance pour l’homme. Et quant à nous éprouver, Dieu n’en a pas besoin, il sait très bien ce que vaut chacun.

Alors il y a l’idée la plus répandue selon laquelle le mal serait dû non pas à Dieu, mais à l’homme. Il est vrai que s’il y a des guerres et des massacres, c’est à cause de l’homme qui est mauvais. On peut donc penser que le mal vient du fait que Dieu a choisi de donner une certaine liberté à l’homme et qu’il ne veut pas la reprendre. C’est en partie vrai. Mais il est difficile d’imaginer que Dieu puisse laisser faire des crimes effroyables à l’encontre d’innocents, et qu’il refuserait juste d’intervenir au nom d’un principe. Dieu serait-il capable ainsi d’une absence totale de compassion ? C’est douteux. Ensuite, il y a beaucoup de mal dans le monde qui ne dépend pas de l’homme : des maladies dramatiques qui frappent des enfants, des tremblements de terre, des famines. Cette explication ne peut rendre compte des catastrophes naturelles et ne peut en tout cas pas suffire.

Il y a bien sûr l’explication la plus simple et la plus ancienne qui est celle du dualisme : le monde serait comme un champ de bataille entre deux principes, l’un du bien qui est Dieu, et l’autre du mal qui serait le Diable. Mais fondamentalement, le christianisme est monothéiste et croit qu’il y a un seul principe actif dans le monde : Dieu, et le « diable » n’est qu’un mot commode et générique pour désigner le mal en général.

Dans ce dilemme qui consiste à se dire que si Dieu est tout-puissant, alors il manque d’amour, et que s’il est amour alors c’est qu’il n’est pas tout-puissant, on peut préférer cette deuxième hypothèse et renoncer à la toute-puissance. La « toute-puissance » de Dieu, en fait, n’est pas un concept évangélique. L’expression est même totalement absente des quatre évangiles, des épîtres (sauf une citation de l’Ancien Testament), et ne se trouve que dans l’Apocalypse, reprenant la mauvaise traduction de « pantocrator ». Il n’y a donc pas de raison biblique majeure pour conserver cette idée que Dieu serait tout puissant. On peut même au contraire penser que le mal, c’est précisément ce qui n’est pas la volonté de Dieu, par définition quelque chose qui ne va pas dans le sens de son projet et qu’il ne peut vraiment empêcher.

Certains diront que si Dieu n’est pas tout-puissant alors il n’est rien ! C’est faux, il y a une grande marge entre totalement impuissant et tout-puissant. Dieu peut faire infiniment, mais pas n’importe quoi tout de suite. Cela va dans le sens d’une vieille idée des Pères grecs, de la création continuée : le monde n’est pas comme une œuvre d’art finie sur laquelle on pourrait juger l’artiste, mais il est en train de se faire. Donc, oui, il y a encore du mal dans le monde, c’est ce qui n’a pas encore été totalement créé par Dieu. Et précisément, Dieu nous demande de prendre part avec lui à son œuvre, et de travailler à faire reculer ce mal qui nous révolte.

Mais ce Dieu non tout-puissant peut néanmoins faire beaucoup : c’est ainsi que sans forcément savoir pourquoi le mal parfois s’acharne injustement, il faut maintenir que Dieu n’y est pour rien et qu’il peut faire infiniment pour aider celui qui est éprouvé.

Quelle que soit la réponse que l’on donne à la question du mal, il est essentiel de ne pas en rendre Dieu responsable. La théologie enseignée dans les anciens catéchismes où l’on disait : « Nous nous en remettons à Dieu, que sa volonté soit faite », a engendré trop d’athées, de personnes se révoltant contre Dieu et perdant la foi dans un Dieu qu’elles estimaient responsable de leur souffrance, au moment où leur foi aurait pu au contraire leur être du plus grand secours. Une autre solution totalement opposée est celle de Calvin. Pour lui, Dieu est absolu, tout-puissant et omniscient. Et donc tout ce qui arrive est la volonté de Dieu. Or comme Dieu est bon, ce qui arrive est forcément bon, et donc en quelque sorte, le mal n’est qu’une apparence. Il y a certainement là quelque chose d’assez juste. Nous n’avons qu’une vision très partielle des choses, et nous ne pouvons vraiment savoir ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Il faut donc faire confiance à Dieu : tout ce qu’il fait est bien, et si cela nous semble mal, c’est que nous n’avons pas le moyen de comprendre. Ce que demande Calvin, c’est un acte de foi : si quelque chose advient, c’est que Dieu l’a voulu, et donc c’est bien et que sa volonté soit faite, on comprendra plus tard.

Pour illustrer cela, on peut dire qu’il y a deux théologies : celle du chat et celle du chien. Quand le maître d’un animal doit infliger des soins douloureux à son animal, le chat se révolte, refuse les soins : même quand ils doivent lui sauver la vie, il se bat. Le chien, au contraire, se laisse faire et se dit : « Je ne sais pas pourquoi mon maître me fait mal, mais s’il le fait, c’est que c’est bien, je n’ai pas besoin de comprendre, j’ai confiance dans mon maître » ; et le chien, qui pourrait d’un coup de dent tuer son maître qui lui charcute la patte, reste totalement docile. Or là encore, que sommes-nous par rapport à Dieu de plus qu’un chien pour son maître ?

Cela est intéressant, parce qu’en fait, en quoi le mal est-il mal ? Par rapport au monde, peu de choses que nous considérons comme « mal » sont vraiment mal. Quand un enfant meurt, ce n’est pas grand-chose matériellement, il aurait pu aussi bien ne pas naître ; et donc un enfant qui meurt n’est pas un mal, c’est juste la négation d’un bien. C’est la souffrance de la mère qui fait que c’est vraiment mal. Or la souffrance vient de la révolte, du fait de refuser la chose. Accepter ce qui arrive avec sagesse, c’est enlever au mal sa capacité de nuire, et finalement supprimer la souffrance. Alors certes, nous pouvons le penser pour de petites choses, et se dire : « Après tout, si c’est comme ça, c’est peut-être la volonté de Dieu, et peut-être est-ce mieux ainsi. » Mais dans les cas très graves, cela nous semble impossible à penser. Pourtant, Calvin, comme d’autres, a pu maintenir cette idée jusqu’au bout. Même lui qui a vu mourir sa très chère épouse Idelette et, sous ses yeux, son unique enfant, il a dit toujours : « Si c’est ainsi, que la volonté de Dieu soit faite. »

Cette théologie calvinienne semble difficile à admettre aujourd’hui, mais ce que l’on peut en conserver, c’est que de toute façon, la chose nous dépasse et que nous ne pourrons jamais totalement tout expliquer. Il y a donc certainement, dans le problème du mal, à un moment donné, une sorte d’acte de foi de dire : je fais confiance à Dieu ; et dans tous les cas ne jamais mettre en doute sa bonté infinie, ni son amour inconditionnel pour nous.

Ce qui est commun dans les deux dernières solutions que nous avons exposées, pourtant apparemment opposées, c’est que de toute façon, Dieu n’est que source de bien et ne peut en aucun cas vouloir le mal.

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À propos Louis Pernot

est pasteur de l’Église Protestante Unie de France à Paris (Étoile), et chargé de cours à l’Institut Protestant de Théologie de Paris.

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