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La Grande Cène

Bonnery AndréL’auteur de ce tableau, Philippe de Champaigne, est né à Bruxelles en 1602. Il se fixe à Paris où il honore des commandes pour les églises et pour la famille royale. Le début de ses relations avec Port-Royal date de 1643. Il peint alors le portrait de Saint Cyran et cache chez lui le Maître de Sacy, l’un des principaux théologiens jansénistes, poursuivi par les autorités. Ce peintre admiré, cofondateur de l’Académie royale de peinture, est aussi un homme austère, plein de bon sens, profondément religieux. Ce qui le caractérise le mieux, c’est la Raison. Il a trouvé dans la France cartésienne du XVIIe siècle le cadre propice à l’épanouissement de son génie.

La Grande Cène a été peinte pour l’autel majeur de l’église de Port-Royal. Elle est actuellement conservée au Musée du Louvre. Les apôtres sont réunis autour de Jésus tenant la coupe, lors du dernier repas avant la Passion. Le peintre a figuré le moment où le Maître vient d’annoncer que l’un d’eux va le trahir. Le tableau est composé de manière symétrique, suivant un axe représenté par le Christ. De part et d’autre, deux groupes de six apôtres interloqués par ce qu’ils viennent d’entendre. On s’interroge du regard, les mains s’agitent, Pierre, à droite, se désigne comme pour demander : est-ce moi ? Jean, à gauche, s’offusque. Jésus semble étranger à cette agitation. Les yeux levés vers le ciel, il prononce les paroles de la Cène. Il est pourtant le centre d’intérêt du tableau. Judas, dans la composition des volumes, occupe la première place. Il est le seul à ne pas prendre part à l’agitation du groupe et aux conversations. Il défie le Maître, regard tendu, main droite posée sur la hanche, la gauche tenant la bourse du salaire de sa trahison, prêt à se lever dans une ultime provocation. La couleur jaune de son manteau désigne symboliquement le traître.

Allusion au lavement des pieds. Des quatre évangélistes, seul Jean ne fait pas le récit de la Cène. Il l’a remplacé par celui du lavement des pieds, évoqué par la cruche de cuivre, sur le carrelage, devant la nappe. Elle est mise en relation par une diagonale, avec la coupe, en cuivre également, seul objet posé sur la table. Ainsi est établi le lien entre la Cène et le lavement des pieds.

 Une esthétique janséniste

On connaît la méfiance des jansénistes à l’égard de la création artistique. Port-Royal ne la refuse pas cependant. La peinture était admise à deux conditions : l’œuvre devait être un « signe » capable de conduire à Dieu et avoir pour objet l’Histoire sainte, en respectant scrupuleusement la parole révélée. Il convenait donc de bannir la fantaisie et la virtuosité, pour rechercher le spirituel. Ainsi conçue, la peinture fait accéder à l’acte de foi. En un sens, l’art pictural rejoint la théologie. La Grande Cène de Champaigne correspond à ces principes. On s’en convaincra en la comparant avec la Cène à Emmaüs de Véronèse, qui a pour cadre une architecture théâtrale, ouverte sur un paysage. L’acte sacré est dilué au milieu d’une foule de personnages totalement étrangers au récit de Luc. Bref, cette peinture invite au « divertissement ». Au contraire, chez Champaigne, rien ne distrait le regard : le cadre est réduit à néant, la table est vide, hormis la coupe, chaque geste évoque un passage du récit évangélique. La virtuosité réelle du peintre est mise au service exclusif de l’esprit du texte qui le guide. En ramenant l’ensemble de la composition à l’essentiel, Champaigne traduit à la perfection l’esprit du jansénisme.

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À propos André Bonnery

est docteur d’État, spécialité histoire et archéologies chrétiennes, s’intéresse à l’iconographie et la symbolique de l’image. Il a enseigné à l’Université de Perpignan.

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