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Visite à Moscou et paysages religieux en Russie

Antérion BernardLors d’une récente visite de François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, à la communauté protestante francophone et luthérienne moscovite, les liens fortement souhaités avec le protestantisme français ont été soulignés et célébrés. Cette communauté protestante forte d’une centaine de personnes, essentiellement issues de la francophonie africaine et malgache, avec de nombreux membres des services consulaires de Moscou, est hébergée physiquement et spirituellement par la forte communauté luthérienne russophone et d’origine allemande de Moscou. L’archevêque luthérien Dietrich Brauer est particulièrement attaché à ce lien avec le protestantisme européen.

Nous avons pu rencontrer aussi bien les responsables des communautés pentecôtistes que le responsable des relations internationales du Patriarcat orthodoxe de Moscou. L’ambassade de France a favorisé ces rencontres. À partir de ces liens souvent fraternels et stimulants, j’ose décrire quelques lignes de crête d’un paysage religieux complexe et je risque quelques perspectives d’avenir.

 Les relations ecclésiales avec le pouvoir politique

La Russie a tout connu en ce domaine. Le meilleur parfois et le pire souvent. De la persécution, encore dans beaucoup de mémoires, à la restauration des relations brisées, en passant par la restitution de lieux de cultes. La déchristianisation, la sécularisation de la société, sont ici aussi une réalité. Aujourd’hui, les communautés religieuses étrangères sont encore suspectes ; comme si l’étranger, le plus souvent l’Occidental, était une menace, pour l’ordre moral en particulier. Il faut alors se faire reconnaître, pouvoir attester de la présence de Russes (au moins une dizaine) dans les comités de direction par exemple. Les communautés évangéliques font allégeance pour exister et se développer, en mettant en place des œuvres diaconales et sanitaires spécifiques en lien avec l’État (centres de cure de désintoxication par exemple), et leurs pasteurs doivent s’engager à ne pas s’exprimer publiquement. L’Église orthodoxe et son patriarche Cyrille sont désormais une Église et un personnage d’État. L’orthodoxie est directement associée à l’existence de l’âme et à l’histoire de la patrie russe !

L’Église luthérienne de Moscou, avec sa composante francophone, ne peut que s’adapter à ce contrôle tatillon ; elle est pourtant un lieu où peuvent s’exprimer analyses et critiques sur le moment historique actuel marqué par une défiance à l’égard de ce qui n’est pas russe et orthodoxe. Un vrai défi : l’affirmation de liberté au cœur du christianisme, l’assurance que le monde n’est ni perdu ni totalement corrompu, mais aimé de Dieu, et l’assurance que l’autre n’est pas une menace mais une chance, restent le cœur d’un message difficile à transmettre.

 Les relations entre Églises

Elles sont inexistantes ou protocolaires. Il existe un comité de consultation des responsables religieux, qui ne s’exprime sur rien, mais permet aux leaders religieux de maintenir des relations personnelles entre eux. Les Églises évangéliques, les communautés catholiques, l’Église orthodoxe, se rejoignent souvent sur les questions de morale personnelle ou familiale ; les autres communautés chrétiennes (luthéro-réformée, méthodiste, anglicane) ne se retrouvent pas dans cette uniformité moralisante. Depuis quelque temps apparaissent des actions qui se veulent œcuméniques : au centre de Moscou, une communauté orthodoxe propose un repas régulièrement à plus de 300 personnes démunies, et vise à faire participer des laïcs et d’autres chrétiens à sa démarche.

 Les situations présentes pèsent sur les réalités ecclésiales

L’invasion de la Crimée, la guerre en Ukraine, la dépréciation du rouble, la flambée des prix, les sanctions économiques de l’Union Européenne, pèsent sur l’ensemble de la population ; son niveau de vie et son moral baissent, le sentiment d’être assiégé par un Occident riche et arrogant est généralement partagé. Le pouvoir politique se sert de tout cela pour renforcer un nationalisme déguisé en patriotisme. La religion est convoquée, l’orthodoxie, fidèle soutien, est aussi partagée et inquiète à propos d’une séparation impensable d’avec le puissant patriarcat de Kiev ; curieusement aussi, on voit des rapprochements politiques avec la Grèce par exemple ; comme si au-delà des langues fondatrices, le grec et le slavon, l’orthodoxie pouvait se rassembler ! Les autres confessions chrétiennes souffrent aussi. La communauté protestante luthérienne francophone vit dans une grande précarité économique. Des communautés protestantes francophones dans le monde ont commencé à l’aider (collecte spéciale à Luxembourg, concert de musique classique à Washington, etc.) Nous devons poursuivre cette solidarité.

 L’avenir ?

Rester en relation avec ces frères et sœurs. Promouvoir des liens, des rencontres originales, atypiques, par-delà les rencontres convenues et officielles entre religieux. Rechercher du neuf et de nouvelles rencontres en lien avec celles et ceux que l’on considère comme étranges, étrangers menaçants. Au-delà des étiquettes, des confessions et des habitudes de pensée, peuvent naître aussi de nouvelles voies, de nouvelles visions, de nouveaux chemins. Il est possible, grâce à Dieu, de rêver les yeux ouverts au cœur d’un monde ancien en train – au travers des crises – de se renouveler.

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À propos Bernard Antérion

est pasteur retraité de l’EPUdF. Il a été en poste dans les paroisses de Bergerac, Rouen et Libourne. Ancien président de la Région Sud-Ouest et de la Commission des Ministères, il est actuellement président de la Communauté d’Églises Protestantes Francophones (Ceefe).

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