L’Instituto Cervantes de Paris, avec son directeur Juan Manuel Bonet, en collaboration avec le collectionneur belge passionné Philippe-André Rihoux, a eu la brillante idée d’organiser une courte rétrospective de l’œuvre d’un artiste espagnol, Manuel H. Mompó (Valencia, 1927 – Madrid, 1992), qui mérite d’être mieux et plus largement connu. Deux citations pour tenter de cerner la spécificité de la démarche picturale et philosophique de Mompó, en quête d’une abstraction graphique, élégante et lumineuse. La première, assez provocante, est de son compatriote Joan Miró qui affirmait « qu’après Altamira (l’équivalent espagnol des grottes de Lascaux) la peinture était entrée en décadence ». Splendide boutade qui, dans son énormité, sait dire néanmoins la nostalgie d’un rapport privilégié perdu, d’une relation intime et magique oubliée entre l’artiste et l’univers insondable de la création ; une nostalgie qui a suscité et orienté la démarche originale et restauratrice de tout un pan de la peinture du XXe siècle (Klee, Matisse, Miró, l’art brut… ) dans laquelle l’œuvre de Mompó sans conteste s’inscrit.
La seconde citation est de Mallarmé et prône le fait de « peindre non pas les choses mais l’effet qu’elles produisent » ; c’est là une exigeante invitation, inconnue peut être de Mompó, mais qui convient parfaitement au dépouillement qui guide son approche du monde. Cette approche est progressivement débarrassée de toute pulsion appropriative des choses pour ne garder d’elles que les sensations fugitives qu’elles ont pu laisser dans sa perception. Un dessaisissement presque monacal du poids du monde au profit des imperceptibles empreintes que les reflets du jour (visuels, tactiles, sonores…) peuvent imprimer sur la page de la conscience. Puis, comme un collectionneur de feuilles le fait au terme de sa promenade en forêt, Mompó étale sa moisson de ce qu’il appelait « les caresses du jour » sur un papier ou une toile qui devient, avec le temps, de plus en plus ouverte et blanche, lumineuse, presque transparente.
On m’a rappelé récemment l’image de peintre qui apparaît dans une des séquences du film Quai des Brumes, un peintre qui disait « voir les choses qui sont derrière les choses et derrière le nageur (qui glissait alors devant son regard) le noyé ». Je me dis, quant à moi, que si une certaine peinture ne sert qu’à voir la mort derrière la vie (et non le contraire), je préfère sans hésitation celle que Mompó nous propose et qui, au lieu de prétendre voir au-delà des choses, se tient humblement en deçà d’elles pour accueillir sans avidité et saisir avec discernement et gratitude toutes les menues caresses que la journée peut éventuellement prodiguer… Peut-être que Hergé, le papa de Tintin, partageait cet avis puisqu’une des œuvres exposées lui appartenait.
Pour faire un don, suivez ce lien