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Les priants-Dieu sont-ils des fayots?

Tous les enseignants rencontrent au cours de leur carrière des élèves exaspérants d’obséquiosité, prodigues de compliments dithyrambiques à l’égard de leur pratique voire de leur personne. C’est ce qu’en argot scolaire, on nomme des « fayots ». Quand ce ne sont pas des enfants en mal d’affection, les « fayots » sont des sortes de courtisans dont les éloges ne sont rien moins que désintéressés, mus par le seul désir d’obtenir de meilleures notes, à force de flatteries.

Certains psaumes ou de pieuses exhortations à la prière de louange semblent nous inviter à faire monter vers Dieu des prières de fayots ! Le Cantique de Judith en est un bon exemple : « Seigneur, tu es glorieux, tu es grand, admirable de force invincible… » (Jdt 16, 13)

On peut se demander si ce type de prière de courtisan n’est pas – comme tant d’autres éléments de notre discours sur Dieu (de notre théo-logie) – victime de l’analogie. Dieu est indicible, parfaitement au-delà de tout ce qu’on peut dire à son sujet. Aussi, dans l’infirmité de la parole humaine, le croyant se contente-t-il souvent de mettre au superlatif pour les attribuer à Dieu les éléments les plus enviables à ses yeux de l’expérience humaine : puissance, gloire, richesse… Tout ce que Jésus repousse avec horreur lors de ses tentations au désert !

Mais, on le comprend aisément : faire de Dieu un super-roi, c’est lui attribuer implicitement tous les défauts qui peuvent être ceux des rois de la terre : orgueil démesuré, arbitraire obtus, favoritisme et injustice… L’analogie a toutes chances de nous amener à émettre pieusement les pires blasphèmes dans la prière !

Alors, comment sortir de l’aporie ? Comment faire en sorte que notre prière de louange ne soit pas peu ou prou une prière de fayot ou de courtisan ? Comment faire pour qu’elle soit une parole libre et désintéressée, paisiblement audacieuse le cas échéant ? Peut-être faut-il partir de la seule définition de Dieu, à proprement parler, qu’on trouve dans le Nouveau Testament (qu’on ferait peut-être mieux d’appeler Jeune Testament, tant il a parfois des hardiesses adolescentes !) La Première Épître de Jean énonce presque incidemment l’essentiel de l’essentiel en trois mots (douze lettres en tout et pour tout) : « Dieu est Amour » (1 Jn 4, 8). C’est la base même de toute théologie chrétienne et j’ose le répéter : il est regrettable qu’il n’y ait pas plus de théologiens amoureux. Leur propos, nécessairement analogiques, seraient sans doute plus justes – du moins au regard de la pensée johannique !

Du coup, l’expérience de l’émerveillement amoureux est peut-être l’école de prière la plus efficace. On peut espérer que Roméo lorsqu’il exprime son enthousiasme devant la beauté de Juliette, son intelligence, sa générosité, etc. (à chacun de compléter la liste à son goût), ne cherche pas à « acheter ses faveurs » (vulgo dictu : à coucher plus vite avec elle). Roméo n’est pas un amoureux fayot !

Être amoureux, c’est être sincèrement émerveillé de son ou de sa partenaire, sans calcul ni arrière-pensée. Et prier, ce n’est peut-être pas autre chose qu’être sincèrement émerveillé de Dieu, sans calcul ni arrière-pensée. La fameuse « gloire de Dieu » n’est pas un lot de qualités dont on devrait féliciter Dieu d’en être le détenteur ; c’est simplement la réalité même de son être et de son amour, à laquelle la prière nous rend sensible… au moins pour un instant.

Le modèle de toute célébration de la gloire de Dieu dans la prière, c’est donc ce jubilant cri d’amour, cette exultation de joie que lance Jésus au retour des 72 disciples : « Père, je te bénis… » (Luc 10, 21) Traduisons librement la suite : « Père je te bénis d’être ce que tu es ! ». Faut-il s’étonner que ce soit aussi, mot à mot, la jubilation émerveillée de l’amoureux : « Comment te remercier d’être ce que tu es, ma chérie ? » Et chaque croyant peut prier de même joyeusement – et surtout sans se croire obligé d’entrer dans les détails : « Merci, Dieu, d’être ce que tu es ! »

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À propos Michel Barlow

Michel Barlow, essayiste, romancier et théologien, est universitaire retraité (Lettres et sciences de l'éducation). Auteur de Pour un christianisme de liberté et Le bonheur d'être protestant.

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