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Pierre Du Moulin, pas si radical

 

On aurait tort de ne voir en Pierre Du Moulin (1568-1658) qu’un orthodoxe de plus – sans que ce qualificatif, à manier avec précaution, ne diminue en rien l’intérêt pour son travail – parmi les nombreux théologiens protestants que compta le XVIIe siècle. S’il fut assurément un âpre contradicteur des catholiques romains tout autant que des arminiens, le premier pasteur du temple de Charenton illustre bien les déplacements à l’œuvre chez les théologiens de l’orthodoxie confessionnelle. La Philosophie de celui qui avait été à 24 ans professeur de logique dans la toute jeune université de Leyde témoigne ainsi d’un recours tout à fait éclectique à la philosophie d’Aristote, mâtinée d’emprunts au stoïcisme et au thomisme. Que ce soit dans les modalités d’exposition de la matière théologique, la place dévolue à l’éthique ou les rapports entre philosophie et théologie, on peut déceler au fil de cette œuvre imposante publiée en 1644 la « flexibilité méthodologique » observée par les historiens chez maints représentants de la scolastique protestante, tout orthodoxes qu’ils fussent.

Il est utile de rappeler ici le rôle majeur que joua Du Moulin dans une entreprise sinon irénique, relevant à tout le moins de ce que nous nommerions aujourd’hui œcuménisme. Rédigés en marge du synode de Tonneins en 1614, ses Expédients que l’on propose pour réunir les Églises chrétiennes qui ont secoué le joug du Pape détaillent son projet de « travailler à l’Union et accord des Églises ». Il imagine en Zélande le « lieu de sûr et commode accès » où il faudrait réunir « deux Théologiens envoyés par Sa Majesté ; deux par les Églises de France ; deux par celles du Pays-Bas ; deux des cantons de Suisse ; un ou deux de chaque Prince d’Allemagne de notre confession ». Du Moulin voudrait qu’à partir des Confessions de chacune des Églises réformées citées – en incluant donc les Églises d’Angleterre et d’Écosse, « Sa Majesté » n’étant autre que Jacques Ier – « on tâchât d’en dresser une commune ». Pour ce faire, il invite à distinguer les « choses nécessaires à salut » et les « matières non nécessaires » en lesquelles il faut « supporter ceux qui errent, ou sentent autrement ». Les « opinions subtiles » d’Arminius (mort en 1609) sont ici clairement visées. C’est bien en effet le conflit ouvert au sein de l’Église des Provinces Unies à propos de la question de la prédestination qui allait aboutir à la réunion de cette sorte de « Concile général des Églises réformées », ainsi que l’historien Olivier Fatio désigne le synode réuni à Dordrecht à partir de 1618. Mais il va sans dire qu’à l’exception de l’aire géographique et de la présence de délégations étrangères, ce synode n’eut que peu à voir avec l’initiative portée quelques années plus tôt par Du Moulin, lequel était allé jusqu’à souhaiter « que ces mots de Luthérien, Calviniste, Zwinglien, etc. soient abolis, et que nos Églises soient appelées Églises chrétiennes réformées ». Il aurait dû en être néanmoins. Mais quand un huissier envoyé par Louis XIII vint lui défendre de quitter le royaume pour se rendre à Dordrecht, sa réaction relatée dans son autobiographie tient en deux mots : « fallut obéir ».

Cette résignation, pour apparente qu’elle fut chez cet ardent controversiste, illustre la tension à l’œuvre chez un homme partagé entre sa loyauté à la couronne de France et son désir d’unité chrétienne, un désir dépassant les frontières tant nationales que confessionnelles. Pour autant, sa position à l’égard de l’arminianisme ne souffrit jamais la moindre ambiguïté. Tandis qu’il présidait le synode d’Alès en 1620, Du Moulin y fit résolument adopter la doctrine « orthodoxe » énoncée dans les canons de Dordrecht. Cette approbation de façade n’empêcha nullement le débat de bientôt rebondir entre l’académie de Saumur et celle de Sedan où Du Moulin, fuyant la persécution, s’était désormais installé. Elle ne laisse pas de nous interroger, quatre siècles plus tard, sur les mécanismes encore à l’œuvre à l’occasion des synodes et la limite, peut-être, du fonctionnement presbytérien synodal.

 

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À propos Benjamin Limonet

Benjamin LIMONET est pasteur proposant de l’Église Protestante Unie de France pour le pôle Allier. Il dessert les paroisses de Moulins, Montluçon et Vichy.

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