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Histoires vraies

 

Un protestant suisse francophone chasseur de baleines devient mercenaire de la Compagnie hollandaise en Extrême-Orient ! Ce livre ne propose pas que des récits qui évoquent le protestantisme mais les protestants seront intéressés par chacun de ses chapitres. Et si plus de la moitié de ceux-ci parlent de protestants français, ils les évoquent de façon inhabituelle et décalée. Paolo Carile, universitaire franco-italien nous fait traverser les océans : le grand nord avec les Vénitiens pour trouver un passage commercial au-delà de l’Islande, un naufrage aux îles Lofoten, le Brésil, l’île Villegagnon, l’île Bourbon (île de la Réunion), l’île Maurice, l’île Rodrigues… Écrivains, « étrangers et voyageurs sur cette terre », ethnographes pour ces Cafres d’Afrique australe, peuples haïs à cette époque très raciste et réhabilités par le jeune protestant Guillaume Chenu de Laujardière, les huguenots sont magnifiques et crédibles jusque dans leurs épreuves. Écrire pour exister et écrire pour résister. Paolo Carile cite les mémoires du galérien protestant Jean Marteilhe, qui avaient passionné Michelet. Plusieurs fois l’historien évoque des « robinsonnades » parce qu’on est conduit à trouver des parallèles avec le roman Robinson Crusoé : le voyage de Robinson se fait, en réalité, en lui-même en devenant une mémoire de conversion spirituelle. Son texte évoque le livre de Jonas et la parabole du fils prodigue. On peut penser aussi à l’allégorie de John Bunyan Le Voyage du Pèlerin… Mais ici les histoires sont vraies bien qu’à peine croyables ! Toutes extraordinaires et pourtant vécues. Paolo Carile rappelle que certains textes qu’il étudie culture • lire ont été pris parfois pour des faux. Dans les récits autobiographiques, Paolo Carile ne nie pas la possibilité de réécriture tendancieuse. Il ne nie pas non plus que l’événement, réellement vécu, puisse être raconté en utilisant des topoi littéraires : le naufrage par exemple. L’objectivité est toujours relative. Le premier chapitre, Ailleurs et altérité, l’explique bien. La différence perçue chez l’autre est décrite à travers ses propres représentations et ses propres conditionnements culturels. Le « sauvage » est révélateur d’autre chose que de lui-même. Au Canada, les Hurons deviennent fréquentables donc intéressants, selon les intérêts économiques français. Paolo Carile évoque l’évêque Isidore de Séville dans sa géographie des îles comme ces textes arabes plus tardifs de la fin du Moyen Âge. La Sicile dans les textes, justement comparée à un palimpseste, est considérée comme un carrefour culturel où se sont croisés les peuples nordistes de l’Europe et les représentants du monde arabe. La recherche du Paradis terrestre interroge théologiquement : certains humanistes et dissidents n’y croyaient pas, croyant seulement à un monde céleste. Ou encore la recherche d’un troisième monde, par le protestant La Popelinière, ou d’un continent austral, contrepoids à l’Eurasie et aux Amériques, après l’échec des colonies protestantes au Brésil ou en Floride… D’autres, non protestants, reprendront ces mêmes utopies jusqu’à la nouvelle Jérusalem catholique auprès des Indiens de l’Amérique du sud. Enfin, Paolo Carile évoque l’enfer terrestre et marin de ces galériens enchaînés sur d’affreuses « prisons flottantes », parmi eux des huguenots français subissantles persécutions de la Révocation de l’Édit de Nantes.

En annexe, six pages de tableau chronologique des voyages cités et plus de 650 références bibliographiques, soit trente ans de recherche synthétisés en quelques pages. « On parle ici d’écritures : plus que les voyages ou les récits de voyage, ce sont les textes produits à l’occasion de leurs déplacements par ceux qui ont su les comprendre et les écrire, qui sont examinés dans le rapport entre la création et la société, comme forme saisie dans son intention humaine et liée ainsi aux grandes crises de l’Histoire (Roland Barthes) », selon les mots du préfacier Marc Cheymol, spécialiste de littérature comparée.

« Tous ces témoignages écrits pour conserver la mémoire d’expériences exceptionnelles (…), sont reliés par le fil symbolique de l’ailleurs, révélateur tout à la fois de tensions et de contradictions, de peurs et de rêves, d’un élargissement du monde et d’un questionnement personnel, qui ouvrent la voie à la modernité et orientent le canon littéraire européen vers des formes et des objets nouveaux », affirme l’auteur.

Paolo Carile, Écritures de l’ailleurs. Négociants, émigrés, missionnaires et galériens, Paris, L’Harmattan, Rome, TAB, 2021, 312 pages.

 

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