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André Dumas, une éthique libre

 

Ce livre passionnant et très bien documenté fait revivre toute une époque : les années 1970 et 1980. Il nous plonge au coeur de débats, je préférerais dire de conflits moraux, qui sont toujours d’actualité. Enfin et surtout, il nous fait découvrir ou redécouvrir André Dumas, cette figure lumineuse, chaleureuse et si humaine.

André Dumas a été sans aucun doute le protestant le plus visible dans la France d’après-guerre, celle des actions de la Cimade en 1942, de la « Fédé » (association chrétienne d’étudiants, née dans le protestantisme), de la guerre d’Algérie, des débuts du planning familial, de la loi Simone Veil, des débats avec les marxistes. Il aura donné 571 conférences entre 1961 et 1990, et ce dans tous les milieux.

André Dumas, c’est d’abord et avant tout un discours engagé au cœur des débats des années 1970 : le début des préoccupations écologiques, la lutte des classes, la contraception, l’avortement, l’adoption, la liberté sexuelle, le divorce, l’homosexualité, l’euthanasie, le suicide… Et sur toutes ces questions, André Dumas témoigne d’une empathie pour les détresses humaines aux antipodes de tout légalisme. Pour lui, c’est du fait même de son caractère compliqué qu’un problème est moral. Il n’y a pas à choisir entre le bien et le mal, mais entre le mal et le mal. Il faut naviguer entre les règles et les situations. Les lois de la nature ne disent pas quelle est la loi de Dieu. Bien au contraire, Dieu suscite toujours de nouvelles normes, on pourrait dire de nouvelles utopies, et ce grâce à la nouveauté des situations.

André Dumas, c’est une démarche protestante. C’est refuser un encadrement juridique des situations problématiques qui se ferait au nom de grands principes doctrinaires, hors sol et fourre-tout. C’est professer une éthique embarquée dans les tempêtes du quotidien, les situations concrètes et les dilemmes qui assaillent les personnes concernées elles-mêmes.

André Dumas pourrait être vu comme le maître du balancement et du retournement. Certes, l’avortement doit être vu comme l’arrêt d’une vie et, pourtant, grâce à la contraception et même à l’IVG, l’enfant ne doit plus être vu comme un devoir auquel il faut se soumettre mais comme une bénédiction que l’on reçoit. Certes, les nouvelles techniques de procréation sont un risque et un vertige, mais elles sont aussi une merveille et une chance. Certes, il est légitime de vouloir mourir dans la dignité, mais qu’est-ce que la dignité ? Devant Dieu, avilis ou non, nous sommes tous à la fois dignes et indignes de vivre. Incontestablement, André Dumas a l’art d’une interprétation areligieuse des concepts théologiques ! Et c’est pour cela qu’il est particulièrement pertinent, à une époque où la religion cesse d’être une dogmatique autoritaire pour devenir une « ressource » pour mettre en mots les questions actuelles, les attentes, les sentiments et les peurs du temps présent.

Stéphane Lavignotte, André Dumas. Habiter la vie, Genève, Labor et Fides, 2020, 366 pages.

 

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À propos Alain Houziaux

fut enseignant et pasteur de l’Église réformée de France. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de réflexion et de spiritualité. Il est intéressé notamment par la rencontre entre théologie et science humaines.

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