La philosophie et la théologie n’ont pas le même regard sur la compréhension de la vie, mais bien souvent elles s’entrecroisent dans des pistes de compréhension données, avec ou sans la révélation de Dieu. Nous allons nous appuyer sur ces deux disciplines pour en dégager deux points importants : la place et la certitude.
Avec les mots de Montaigne nous dirons « qu’il est nécessaire de connaître sa place et de s’y limiter ». Dans notre vie, nous changeons, et nous changeons souvent de place dans l’existence. Pouvons-nous dès lors connaître notre réelle place ? Prenons la personne de Pierre pour établir notre enquête.
Au chapitre IV de Matthieu, première apparition de Pierre. Il était pêcheur de poissons avec son frère André, et à l’appel du Christ, il a tout lâché pour le suivre et l’écouter. Ensuite, cheminant dans sa foi (juste dans ce qui précède notre texte) il va faire sa première confession de foi à Jésus en répondant à la question : « pour toi qui suis-je ? » : « Toi tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ».
Par ces mots, Jésus reconnut que Pierre avait reçu la révélation de Dieu, et le mit à l’honneur. Reçu comme un premier de la classe dans l’école de la foi ! Ça y est, Pierre peut ressentir le fait d’avoir trouvé sa place dans l’existence et il peut en éprouver de la fierté. Cette place est en plus le lieu même où la communauté du Christ va se construire.
Il peut nous arriver, en fonction de la place que l’on croit s’être vu attribuer, de penser que celle-ci est figée une fois pour toutes. Mais est-ce vraiment le cas ? Devons-nous construire notre existence autour d’une seule place, ne souhaitant plus cheminer dans la foi et dans la vie avec ses incertitudes ? À ce stade de notre enquête, arrêtons-nous sur la certitude, toujours avec les mots de Montaigne : « Nous croyons avoir des certitudes, quelle que soit cette certitude je devrai me souvenir que je peux me tromper ». Pierre, à ce moment du texte, se trompe de place dans l’existence. Au verset 21, Jésus commençait à montrer le dessein de Dieu à son égard : il fallait qu’il monte à Jérusalem, qu’il souffre des anciens, qu’il soit tué pour être réveillé au 3e jour, pour être ressuscité. Au lieu d’être dans une écoute attentive, à la suite de Jésus, Pierre s’est senti légitime, pour décider et pour rabrouer Jésus, fier d’avoir été le premier à l’école de la foi.
Voici un moment clé de notre enquête, ce moment où le « crime » est commis. Pierre se sentit légitime et décida de ce qui devait être bien ou mal pour Jésus. Et ce changement de place existentielle n’a pas été sans conséquences. Après les honneurs, Pierre a reçu la pire des sentences, celle d’être traité de Satan, et il devient une cause de chute pour Jésus. C’est un moment fort d’enseignements que ce moment où Pierre qui avait cheminé dans sa foi n’écoute plus vraiment, comme s’il avait été stoppé dans son cheminement de foi, se trouvant peut-être arrivé à sa juste place, fier de lui-même et du regard porté par son maître !
Il souhaitait peut-être, comme, au fond, nous pouvons le souhaiter aussi, un Dieu tout-puissant.
Et en niant la passion du Christ, il définit Dieu à sa façon, un Dieu qui échappe à la condition humaine. Mais en vain… Ce n’est pas le Dieu de la Révélation. Jésus remet Pierre à sa juste place, derrière lui et non devant lui : « Va-t’en derrière moi Satan ! » En le traitant ainsi, il en fait un accusateur public, et le place comme un adversaire du dessein de Dieu.
Ne construisons pas notre vie sur des certitudes personnelles que nous pensons être la vérité, pour soi et pour les autres. Osons nous aventurer sur le chemin de l’incertitude, d’une foi non contrôlée sur soi et sur les autres, qui bougent, qui cheminent sans cesse, et abandonnons nos sécurités personnelles, morales, sociales, religieuses même, en gardant cette place donnée pour nous : être à la suite de Jésus et ne pas décider à sa place. Alors, à la question du Christ : « pour toi, qui suis-je ? », que répondriez-vous ?
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