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Le confinement : un désert

 

Nous voilà donc assignés à résidence. Ce confinement nous contraint à l’isolement mais non à la solitude, grâce aux contacts forcément médiatisés (téléphone et visioconférence) qui jalonnent désormais nos journées. Cependant même en comptant cette médiation, la sensation d’isolement peut tout de même être assez prégnante pour certains pour être relevée. Même si ce confinement est absolument fondé, il n’en est pas moins imposé. Comment faire dès lors pour ne pas le subir ? Cela m’a amené à m’interroger : qu’est-ce que l’isolement – recherché en soi – permet de faire ? Il permet une rencontre de l’individu avec les capacités qui lui sont propres et parmi elles, celle d’établir un lien avec la transcendance, avec le divin. Cette rencontre peut s’établir selon des modalités différentes, elle n’est pas l’apanage exclusif du christianisme ni celui d’une foi religieuse. On peut la pratiquer en philosophe. À l’entrée de sa troisième méditation métaphysique, Descartes se trouve dans un isolement radical lorsque, cherchant à savoir s’il y a « des choses hors de [lui] et différentes de [s] on être […] », il s’apprête à établir l’existence de Dieu.

 Pratiques d’isolement

Si nous franchissons un pas de plus, afin de pénétrer dans le champ religieux, nous observons que la recherche d’un isolement n’implique pas nécessairement la recherche de la divinité. Ainsi, le saint bouddhiste tibétain Milarépa pratique-til une itinérance érémitique à travers une suite de cavernes aux patronymes mystiques, rencontrant des disciples, détruisant l’ignorance et révélant le « diamant » : la nature lumineuse et indestructible de l’esprit. L’isolement peut être postulé d’emblée, englobant toute l’existence de l’individu. C’est sur cette tangente que s’engage Ibn Tufayl dans son Philosophe autodidacte : Hayy ben Yaqhân (« Le Vivant ») naît par génération spontanée sur une île déserte et parvient en autodidacte à toutes les connaissances : à celle du fonctionnement du monde qui l’entoure mais aussi à celle de sa propre essence spirituelle.

Si nous nous tournons vers le christianisme, ce sont les Pères du désert qui nous viennent en premier à l’esprit. Il serait faux d’imaginer que la rencontre érémitique avec Dieu se passe dans une relative aisance du fait de l’isolement. La vocation des Pères du désert en suscite d’autres. Tant et si bien qu’ils sont souvent entourés de disciples vivant dans des cellules adjacentes, parfois même le nombre de disciples est tel qu’il mène à la fondation de monastères comme celui des Syriens dans le désert de Scété (Égypte), à la suite de Macaire. On se rend également visite les uns aux autres (Antoine le Grand chez Paul de Thèbes). Voilà qui rejoint notre condition actuelle, isolés mais non solitaires, grâce aux contacts médiatisés évoqués plus haut.

 L’épreuve de l’isolement intérieur

Ensuite, les contacts humains mis à part, d’autres difficultés surgissent lorsqu’on décide, comme les Pères, de vivre le « maximalisme évangélique » (selon l’heureuse expression de Philippe Dautais). Ce sont des difficultés d’ordre spirituel. C’est un fait bien connu : le désert est la demeure des démons. À cette évocation, l’imagination tourne à plein régime, particulièrement celle des peintres, comme en témoigne L’Agression de saint Antoine par les démons, livrée par Matthias Grünewald au cœur du retable d’Issenheim.

Mais que sont ces démons dont il est question ? Non pas des entités surnaturelles sorties de cet enfer qui, selon Dante, compte neuf cercles. C’est ce que l’individu emporte avec lui dans son isolement, la représentation des objets, les raisonnements que l’on se fait à soi-même, les fantasmes également. Ainsi, Évagre Le Pontique en vient à ne plus différencier « pensée » et « démon ». Considérés de la sorte, ces « démons » deviennent familiers aux êtres humains du XXIe siècle que nous sommes, confrontés à la situation de confinement qui est la nôtre. Toutes ces pensées font un boucan d’enfer dans notre tête, parasitant une rencontre avec Dieu qui s’effectue, selon les Pères, dans le silence. C’est là tout ce qui empêche de s’adonner à l’Hésychia, l’exercice constant de la présence de Dieu. Ce détournement culmine au sein de l’acédie, le manque de soin porté à la vie spirituelle. Notre situation actuelle n’est-elle pas l’occasion de nous rendre compte de notre propre acédie ?

 Une voie pour nous ?

Dans cette recherche érémitique de Dieu, Philippe Dautais nous rappelle qu’il s’agit avant tout d’entrer en relation de confiance. Il s’agit là d’accéder à ce qui est décrit dans la parabole de la perle en Matthieu 13 : l’infinie richesse intérieure de chaque être humain. À nous de nous inspirer de cette démarche spirituelle, de prendre du temps pour faire silence afin d’être à l’écoute de Dieu et ainsi de trouver cette perle en nous. Cela ouvre la possibilité d’une pratique qui nécessite un engagement intense de la part de l’individu qui s’y engage. C’est la quête d’un isolement qui est le fruit de la volonté et non quelque chose de subi.

 

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À propos Adrien Bridel

détenteur d’un master en histoire et philosophie est membre du Conseil synodal de l’Église Réformée Évangélique Neuchâteloise (EREN) en charge de la diaconie. En parallèle il suit une formation pédagogique.

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