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La Marche du Sel

 

Un ingrédient de cuisine comme le sel peut apparaître comme étant parfaitement insignifiant au vu de l’ensemble de l’oeuvre émancipatrice entreprise par le Mahatma. Et pourtant, il constitue un des points culminants de son combat non-violent pour l’indépendance du sous-continent indien. En effet, le sel était alors l’objet d’un monopole d’État de la part du colonisateur britannique faisant l’objet d’un impôt, les colonisés ayant même l’interdiction de le récolter eux-mêmes. Ainsi, un produit en apparence anodin se révélait être un symbole de l’oppression coloniale.

 Le contexte

Dans le courant des années 1920, Gandhi s’est distancié du Congrès, principale force politique indigène du Raj britannique essentiellement constitué d’une élite anglicisée, pour se rapprocher des classes populaires, en particulier des agriculteurs qui constituent alors 80 % de la population indienne. Or, ce sont ces classes populaires qui souffraient en premier lieu de cet impôt, dans un pays au climat chaud comme l’Inde, où le sel est un élément indispensable à la conservation des aliments. La question du « Hind Swaraj » (l’autodétermination de l’Inde) vient s’enrichir d’une préoccupation sociale concernant notamment les intouchables qu’il nommait « harijans », « les enfants de Dieu » ainsi que la condition des femmes qu’il qualifiait de « meilleure moitié du Ciel ». Si l’on se souvient pareillement du souci de cohésion interreligieuse qui anima les dernières années de son existence, on est en mesure de constater que, pour Gandhi, le chemin vers l’indépendance ne pouvait se tracer que dans une visée purement globale. Cette visée est tragiquement oubliée de nos jours, en témoigne le succès de la droite nationaliste hindoue.

En 1928 l’Indian Statutory Commission, menée par Sir John Allsebrook Simon arrive en Inde afin d’étudier les possibilités de réforme constitutionnelle en vue de lui accorder d’avantage d’autonomie. Aucun ressortissant indien ne fait partie de cette commission composée uniquement de parlementaires britanniques. C’est le fait de ne pas être pris en considération dans le processus de décision politique qui décide Gandhi à agir. C’est dans la réponse qu’il va apporter à ce manque de prise en considération que se situe toute la fécondité de sa pratique.

 La marche

Ainsi part-il le 12 mars 1930 de son ashram de Sabarmati près d’Ahmedabad dans l’état du Gujarat (nord-ouest) avec un nombre initial de 78 disciples. Partout, durant les 24 jours que dure son périple, il s’arrête dans les villages et les bourgades où il prend le temps d’expliciter sa démarche militante. Aussi, le nombre des ceux qui le suivent ne cesse de grossir, atteignant rapidement plusieurs milliers de personnes. Le 6 avril 1930, Gandhi rejoint à pied les marais salants de Dandi au nord de Bombay, au bord de l’océan Indien, à plus de 300 km de son point de départ. Arrivé à destination, il se baisse pour ramasser une poignée de sel, bravant l’interdit du pouvoir colonial. Ce geste entraîne un gigantesque effet domino : partout en Inde, on l’imite. Les autorités britanniques ont beau arrêter près de 60 000 personnes, rien n’y fait : la force symbolique du geste accompli est trop puissante. Le peuple indien s’est réapproprié un bien essentiel. Gandhi lui-même est arrêté le 5 mai. Cette arrestation fait pleinement partie de sa stratégie. Toute sa démarche a en effet été annoncée au préalable au Vice-Roi. L’aspect public de cette marche a pour but de prendre tout un chacun à témoin. C’est un événement amplement médiatisé, des  journalistes venant de tous les continents suivent la colonne de marcheurs. Il s’agit d’empêcher le monde entier de rester indifférent à la situation de l’Inde colonisée.

 L’après

Après l’arrestation du Mahatma, la poétesse Sarojini Naidu conduit 2 500 manifestants devant les salières de Dharasana (toujours dans le Gujarat) : ceux-ci s’élancent spontanément, sans violence aucune, sous les matraques ferrées des policiers. Plus le colonisateur se montre violent, plus la tactique non-violente se révèle triomphante. Le Vice-roi Lord Irwin et Gandhi parviennent au mois de mars de l’année suivante à un accord autorisant la libre fabrication du sel.

Force est de constater que c’est ici le respect des préceptes non-violents (rassemblés sous la notion de « Satyagraha », l’attachement ferme à la vérité) prônés par Gandhi qui sert l’efficacité émancipatrice. On est en droit de se demander si ce respect qui nécessite « toute la force de l’âme » ne constitue pas un enseignement pour notre temps, à l’heure où des manifestations mues par de légitimes revendications sont trop souvent entachées par diverses violences.

Certes, on peut arguer que la philosophie non-violente de Gandhi aura fini par être mise en échec au moment de l’indépendance effective de l’Inde, face au tourbillon de violence entre hindous et musulmans qui a conduit à la partition de l’ancienne colonie. Mais ce pourquoi « Bapuji » (grand-père) a œuvré sa vie durant, cet élan humaniste, lui subsiste pleinement et continue de représenter une source d’inspiration inépuisable.

 

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À propos Adrien Bridel

détenteur d’un master en histoire et philosophie est membre du Conseil synodal de l’Église Réformée Évangélique Neuchâteloise (EREN) en charge de la diaconie. En parallèle il suit une formation pédagogique.

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