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Moi, David, frondeur (1 Samuel 17)

Si « tout protestant fut pape, une Bible à la main » (Nicolas Boileau, satirique), je trouve grand intérêt à interroger mes coreligionnaires, toutes tendances confondues, sur leur passage biblique préféré, manière ludique (sans enjeu théologique pesant) et personnelle (incarnée) d’aborder la question du « canon dans le canon » (biblique). Et comme « il n’est jamais vrai de s’oublier soi-même » (André Dumas), je répondrai à ma propre question en citant le chapitre 17 du premier livre de Samuel comme texte dont j’ai le sentiment persistant qu’il a été écrit pour moi ou pour le dire autrement, que j’aurais aimé écrire si j’avais été scribe à Jérusalem au VII ème siècle avant Jésus-Christ.

I Samuel 17 raconte le combat entre David et Goliath. Ma première rencontre avec ce texte (dans sa version hébraïque) date de ma première année de théologie, la seconde (version française, Segond) lorsqu’il m’a fallu choisir une citation épigraphe pour ma thèse de doctorat, dernier acte de ma formation théologique strasbourgeoise (avant la soutenance) : « Il (David) prit en main son bâton, choisit dans le torrent cinq pierres polies, et les mit dans sa gibecière de berger et dans sa poche. Puis, la fronde dans sa main, il s’avança contre le Philistin » (verset 40). Citation de circonstance un brin provocante, au terme d’un long parcours universitaire, en prévision d’une soutenance disputée (cinq pierres polies dans le texte, un jury de cinq membres, tous des géants dans leur domaine), manière littéraire et littérale de signifier que, d’une part je n’avais pas peur et que d’autre part, j’étais d’humeur résolument combative (souvent les soutenances au sein de l’Université française relèvent des sports de combat ; ce fut le cas).

Puis, les années passant, j’ai lu et relu, toujours avec le même plaisir, non pas tant le récit du combat (les versets 41 à 51 sur lesquels une certaine tendance du protestantisme français littéraliste s’appuierait pour mettre l’accent sur une vision forcément et férocement triomphaliste de la foi chrétienne) que ses préparatifs. Pour rappel : David, jeune berger, descend de la montagne apporter des vivres pour ses frères soldats de l’armée du roi Saül. Lorsque l’hypothèse d’un combat du champion de chacun des deux camps se précise, David se propose et se retrouve être, par défaut, le combattant retenu. C’est alors que « Saül fit mettre ses vêtements à David, il plaça sur sa tête un casque d’airain, et le revêtit d’une cuirasse. David ceignit l’épée de Saül par-dessus ses habits, et voulut marcher, car il n’avait pas encore essayé. Mais il dit à Saül : Je ne puis pas marcher avec cette armure, je n’y suis pas accoutumé. Et il s’en débarrassa. » (Versets 38 et 39). Cet acte radical de délestage trouve des échos dans la genèse même du mouvement réformateur protestant qui s’est débarrassé dès Luther de la plus grande partie de l’appareil ecclésiastique du catholicisme romain, fondé sur une tradition devenue pesante. Pour « tous amateurs de Jésus-Christ » (Jean Calvin) de ma génération, la question s’est posée très directement dans le domaine théologique, quant à l’usage qu’il convenait de faire des grandes œuvres des théologiens allemands, en particulier (des vingt-six volumes de la version française) de la Kirchliche Dogmatik de Karl Barth (1886-1968), qui avait tant marqué la théologie d’avant 1968. Conforté par le récit du choix de la fronde légère en lieu et place de la lourde épée, ce seront quelques lignes du théologien américain d’origine allemande Paul Tillich (1886-1965) relatives au principe protestant et à la théologie de la culture, ainsi que l’enseignement de Gabriel Vahanian (par exemple : le fait de repartir chaque jour de zéro) qui constitueront la dogmatique portative (d’autres choix sont évidemment envisageables) avec laquelle il m’apparaît possible de naviguer sereinement confiant, à l’image d’un David allégé parcourant la distance entre son camp et le théâtre du combat, dans un monde d’écrans à cran.

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À propos Philippe François

pasteur de l’Union des Églises Protestantes d’Alsace Lorraine, est l’auteur d’une Anthologie protestante de la poésie française et du blog Journal d’un pasteur concordataire.

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