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Sahélisation du terrorisme islamiste : défi de l’éducation

 

Le terrorisme islamiste cristallise l’angoisse qui fait tousser le monde aujourd’hui. L’Afrique sahélienne en est décidément un des lieux de prédilection. D’est en ouest, le vent de l’hydre charrie des cadavres et des corps mutilés. Un tel ensauvagement dépasse les superlatifs qu’on veut bien attribuer à ces massacres. Des populations entières sont dépossédées de la possibilité même d’offrir une sépulture aux leurs, sommées de laisser la nature engloutir elle-même ces restes.

Pourquoi Boko Haram se développe-t-il dans le contexte soudano-sahélien ? Un des djihadismes les plus marquants sur ce continent date du début du XIXe siècle, avec Ousman Dan Fodio. Cet imam s’inquiétait de l’inexactitude de la pratique religieuse des chefs politiques et religieux haoussas et de la corruption galopante dans le royaume situé dans l’intersection savano-sahélienne de l’Afrique occidentale et centrale. Sa conquête aboutira à imposer des affidés à la tête des entités territoriales qui englobent même le Lac Tchad, considéré comme l’épicentre du conflit bokoharamien.

Ce détour historique n’est pas, objectivement, une caution valable à la dramatique actuelle. Mais il y a certainement un éclairage utile pour ébaucher l’analyse et comprendre les supports théoriques d’un phénomène quasi récurrent. L’action de Dan Fodio avait comme clef de voûte le soufisme. Il faut se rendre à l’évidence que ce courant religieux représente le cœur ésotérique de l’islam qui n’est pas traditionnellement porté sur la violence. Même si, au gré des circonstances, un personnage comme Ousman Dan Fodio finit par franchir le rubicond, en renversant le système corrompu de son époque.

Le mouvement salafiste dont se réclame la secte Boko Haram, se nourrit d’un fondamentalisme outrancier, larvé de wahhabisme. Théologiquement, ce courant littéraliste recherche, comme Al Qaida, auprès duquel il fit allégeance, à restituer aux musulmans actuels l’islam des ancêtres (Salaf). Via ce retournement révolutionnaire et historique, le fondamentalisme a largement contribué à semer, à l’externe, l’amalgame entre terreur et islam dans l’esprit contemporain. Par là aussi, l’islamisme révolutionnaire a réussi à répandre une image très controversée de la religion musulmane. L’usage de la science et de la technique actuelles, tant dans l’armement que dans la communication, libère un discours contradictoire pour un mouvement qui se revendique des sources originelles.

Dans les contrées sahéliennes rurales en général, l’accès à l’école officielle, celle issue de la colonisation peu ou prou transformée localement, au gré des parcours singuliers de chaque État, a toujours été ralenti par toutes sortes de pesanteurs. Toutefois, soulignons à toutes fins utiles qu’à Tombouctou, ville du Mali, existait déjà au XIIe siècle de notre ère, une université de renom.

La pénétration coloniale occidentale annonce un basculement important. D’emblée, elle s’est faite différemment suivant les territoires annexés. Dans la partie sahélienne de l’Afrique, du fait d’un monothéisme ouvertement affiché et des structures de la société difficilement perméables, l’occidentalisation a moins connu de succès, obligée de composer avec les réalités locales. Ainsi, l’installation de « l’école étrangère » dont parle Cheikh Hamidou Kane dans son célèbre roman L’aventure, ambiguë, ne s’est pas faite sans heurt.

Dans les sociétés africaines dites forestières ou côtières, en revanche, ladite école s’est facilement introduite au même moment que le christianisme.

Aujourd’hui, au Sahel, les socles religieux existants travaillent à repousser l’imposture de l’islamisme radical qui alimente ces mouvements véhéments. À la vérité, la théologie pratique bokoharamienne du chaos reste extrêmement minoritaire : chrétiens et musulmans montrent alors qu’ils doivent affronter la folie à la fois mensongère et meurtrière de ceux que le psychanalyste tunisien Fethi Benslama qualifie de « surmusulmans ». Le terreau de l’éducation illustre à souhait le fait que certains États africains, à des degrés bien différents, n’ont pas toujours veillé à susciter une conscientisation plus grande sur les enjeux de la réalité de leur propre monde. Le phénomène religieux déviant se nourrit de l’ignorance, d’une faible présence de l’État.

Même si l’éducation, selon l’horizon le plus large, n’est pas la cause immédiate du terrorisme islamiste en vogue dans la quasi-totalité des pays sahéliens d’Afrique, il apparaît urgent que l’État empoigne le problème d’abord sous cet angle et active tous les leviers institutionnels. Si le terrorisme islamiste actuel ne saurait être lu en marge de la géopolitique mondiale, marquée par l’irruption d’un néo-darwinisme qui se moque de la misère des faibles en convoitant leurs richesses naturelles, comment la population dans son ensemble pourrait-elle se défendre dans l’ignorance totale de ce qu’elle est et représente au cœur de l’économie de l’espace monde en dehors de l’éducation ?

 

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À propos Zachée Betché

est né en 1970 à Maroua au Cameroun. Il est pasteur de l’Église Évangélique Réformée du canton de Neuchâtel (Suisse), essayiste et titulaire d’un doctorat en philosophie. Il est l’auteur de l’ouvrage Le phénomène Boko Haram. Au-delà du radicalisme paru aux éditions de L’Harmattan en 2016.

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