Accueil / Carte blanche / Le caractère exclusiviste du christianisme

Le caractère exclusiviste du christianisme

 

À l’occasion d’un entretien avec des amis pasteurs, se pose la question du rapport de notre foi avec les autres religions. Chacun essaye de dire quelle est pour lui la marque spécifique du christianisme. Mais insister sur sa singularité et son caractère unique risque parfois de l’isoler dans une attitude de supériorité, voire d’impérialisme. On rappelle, par exemple, que toute une théologie a choisi, dans la foulée de Karl Barth (1886-1968), d’opposer la Révélation de Dieu en Jésus-Christ aux autres démarches, religieuses ou spirituelles, jugées nécessairement ignorantes et illusoires parce qu’humaines.

Que tel croyant puisse affirmer qu’il a rencontré Dieu par Jésus-Christ signifierait-il qu’on ne peut rencontrer Dieu que par lui ? Une expérience personnelle ne saurait devenir l’expression d’une norme générale et exclusive.

Albert Schweitzer écrit dans une lettre datée du 5 août 1935 : « À l’oral de mon examen de licence en théologie, le professeur de dogmatique, Paul Lobstein, m’a demandé : “Monsieur le Candidat, comment prouvez-vous que le christianisme est la religion absolue ?” “Je ne prouve rien du tout, Monsieur le Professeur, répondis-je. Ceci n’est pas une chose qu’il faille prouver. Il n’y a pas de religion absolue. Et on ne rend en aucune façon service au christianisme, en voulant à tout prix le faire passer pour la religion absolue”… Là-dessus, grand silence, jusqu’à ce qu’une autre question me soit proposée. Mais je sentais que mon examinateur pensait au fond de lui-même la même chose. » (Cahiers Albert Schweitzer, n° 144, 2006)

Certes, il ne suffit pas qu’un chrétien professe qu’il croit en Dieu, encore peut-on préciser que nous ne croyons pas à n’importe quel Dieu, mais au Dieu de Jésus-Christ qui nous apporte l’image d’un Dieu qui « est amour » (1 Jn 4 : 8 et 16).

Au cours de l’entretien avec mes amis pasteurs évoqué plus haut, fut bien entendu discutée entre nous la déclaration de Jésus : « Nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 14,16) Comment comprendre ces mots apparemment si intolérants ? Ne confirment-ils pas le caractère exclusiviste du christianisme et ne réduisent-ils pas au silence les partisans d’un christianisme d’ouverture ? Prétendre que Dieu peut être rencontré véritablement dans le cadre d’autres religions, n’est-ce pas une réalité clairement disqualifiée ici par Jésus ? Les mystiques chrétiens, convaincus que, dans la foi, toutes les expériences religieuses peuvent se rejoindre, sont-ils infidèles à la vérité évangélique ou victimes de rêves chimériques ? Comment entendre ces mots qui semblent confirmer l’attitude des tenants d’un christianisme seul en possession de la vérité ? Mais l’évangile de Jean traduit ici une relation de foi toute personnelle, celle de Jésus à son Père et à ses disciples. Il ne s’agit pas là d’un savoir philosophique et objectivant, abstrait et dogmatique. Jean Zumstein, théologien protestant, écrit au sujet de cette section de Jean 14 dans son Commentaire de l’évangile selon saint Jean (Labor et Fides, 2007) : « La présence de Dieu dans la personne du Christ échappe à toute objectivation. » Oui, en effet, Jésus ne dit pas « nul ne vient à Dieu que par moi », mais bien « nul ne vient au Père que par moi ». C’est très différent. Comme je l’ai souligné plus haut, le christianisme nous conduit à la rencontre d’un Dieu dont l’image, en Christ, est celle d’un Père, d’un Dieu d’amour, et non pas celle d’un Dieu dont la représentation est si souvent, même dans les Églises, totalitaire et cruelle.

 

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Laurent Gagnebin

docteur en théologie, a été pasteur de l'Église réformée de France, Paris ( Oratoire et Foyer de l'Âme ) Professeur à la Faculté protestante de théologie.Il a présidé l’Association Évangile et Liberte et a été directeur de la rédaction du mensuel Évangile et liberté pendant 10 ans. Auteur d'une vingtaine de livres.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continuer la lecture