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« Jusqu’à quand, Éternel, m’oublieras-tu sans cesse ? » (Psaume 13)

En parcourant les psaumes, on a souvent l’impression désagréable d’un Dieu sourd et engourdi, dont la mémoire est défaillante, un peu sénile et amnésique. Il faut lui rappeler sans cesse ses promesses passées, le secouer pour qu’il n’oublie pas son peuple et ses fidèles, qu’il vienne à leur secours, qu’il ouvre un peu les yeux et les oreilles, qu’il se réveille au lieu de dormir.

Nous chrétiens libéraux croyons que Dieu a besoin de nos mains pour agir, que ce n’est pas à lui de s’ouvrir à notre volonté, mais à nous de nous ouvrir à la sienne. Pour nous cet oubli, Dieu en est l’objet et non le sujet. Cet appel du psaume et de beaucoup d’autres ne serait alors qu’une projection de l’oubli des hommes sur un Dieu qui, même dans le silence, ne cesserait pas de se souvenir. Silence probablement dû à notre propre surdité, ou notre volonté de ne pas entendre, plus qu’à son absence ou son oubli.

Des psaumes comme celui-là veulent rappeler son peuple à Dieu, ou Dieu à son peuple, mais en tout cas faire revivre le souvenir, ranimer la mémoire du passé libérateur toujours plein de promesses.

Chacun porte en lui son sélecteur de mémoire ; même quand elle est usée par l’âge, certains événements resurgissent avec d’autant plus de force et de présence. Au fond de nous demeure la mémoire de cette force de vie, de cette puissance d’amour qui un jour a soulevé nos vies, ou dont simplement nous avons discerné la présence, et que nous avons pris l’habitude d’appeler Dieu.

Contrairement au psalmiste, nous ne croyons plus que ce Dieu va intervenir de l’extérieur, dicter aux puissances du monde leurs paroles et leurs actes, envoyer guerres et paix, succès et échecs, malheurs et bonheurs, vies et morts aux hommes qu’il gouverne. Le Dieu que nous croyons discerner à travers l’Évangile comme à travers notre expérience ne force, ne juge, ne contraint ni ne pèse ; un Dieu de paix, de légèreté, de pardon qui se donne dans la faiblesse au lieu de s’imposer dans la force ; un Dieu difficile à défendre et à promouvoir : les hommes souffrent trop de leur liberté pour avoir besoin d’un Dieu qui les dirige, les juge, les domine, les punit.

Il est d’abord au fond de moi, présence souvent cachée, refoulée, oubliée, qui un jour a percé dans ma vie et a éclairé mon chemin. Bien sûr ce Dieu n’est pas ma propriété personnelle. Je peux heureusement discerner la trace de sa présence ailleurs qu’en moi-même, un peu partout, dans l’Évangile bien sûr, où les paroles et les signes de l’homme Jésus font jaillir dans mon existence leur force de vie et de changement, mais aussi dans l’histoire, dans la nature, dans l’art. Certains écrivains, musiciens, peintres, créateurs nous lancent à travers les siècles un peu de la force de Dieu, de cette lumière qui perce la nuit. À nous de garder leur mémoire et ainsi au cœur du monde, au cœur de nos vies, de réveiller Dieu, de le faire sortir des prisons de l’oubli où les siècles l’enferment, où nous-mêmes le tenons captif. L’élan du souvenir, c’est ce qui donne du recul pour franchir les murs du présent et avancer plus loin.

Parfois cet oubli que déplore notre psaume nous ronge et nous abîme. Parfois nous ne savons plus voir, croire, sentir cette force de vie, ces éclats de lumière, ni en nous ni ailleurs. Quand tout semble fermé, quand les murs sont si hauts qu’aucun espoir, aucun rêve même ne semble pouvoir les franchir, nous pouvons croire qu’au-delà existe une mémoire profonde de ce monde où rien ni personne ne se perd, une présence cachée, un amour sans violence qui nous garde, et garde le monde et tout ce qui meurt dans l’infini de sa mémoire. Et cette mémoire toujours fidèle est l’espérance du monde.

« Moi, j’ai mis ma confiance en ta fidélité » dit le dernier verset du psaume.

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À propos Jacques Juillard

est pasteur de l’Église protestante unie de France, en retraite, mais en addiction persistante à creuser l’insondable. Prix Évangile et Liberté 2011.

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