Dieu : « Le Tout-Autre », proche et lointain

Affirmer un Dieu « Tout-Autre », c’est rappeler que Dieu ne peut être enfermé dans nos mots, nos définitions, nos doctrines et qu’aucune institution ne peut le détenir et le maîtriser. Dieu est au-delà de nos logiques et de nos paroles à son sujet. Ces dernières sont des interprétations approximatives, des balbutiements. Dans un certain sens, elles sont toujours des anthropomorphismes : des représentations humaines d’une divinité qui nous échappe, qui nous dépasse. Nous tenons certes à éviter ces manières de dire Dieu qui lui attribuent un corps, des sentiments et des passions lourdement identiques aux nôtres. Nous voulons le soustraire à nos limitations. Mais quels que soient nos mots sur Dieu, ils seront marqués par notre langage et nos images. Ils sont inévitablement humains. « Comprendre, c’est dominer », a écrit Auguste Sabatier (1839-1901) dans son Esquisse d’une philosophie de la religion et plus particulièrement dans une section de ce livre où il insiste sur le fait que le symbole est le seul langage qui convienne à la religion. Quand je dis « Dieu », ce n’est déjà plus Dieu que je dis. Comme aimait à le répéter Raphaël Picon, Dieu est en « excès » ; il « excède » toutes nos compréhensions. Il y a ainsi pour lui une « insoumission » de Dieu à toute tentative de captation.

Affirmer un Dieu « Tout-Autre », c’est aussi évoquer le caractère inattendu du Dieu de Jésus-Christ et des évangiles : un Dieu très différent de ce que nous voudrions tout naturellement qu’il soit, par exemple et principalement un Dieu « Tout-Puissant ». C’est Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) qui, parmi les théologiens contemporains, a le plus insisté dans ses lettres de prison (Résistance et soumission) sur cette idée que « Dieu est impuissant et faible dans le monde ». La crèche et la croix, taillées dans le même bois, ne sont pas des symboles d’une toute-puissance divine ; bien au contraire. Il y a là un renversement de tout ce que nous attendons de Dieu. Dans une telle perspective, Dieu est bel et bien le « Tout-Autre ».

 Dieu humain et pourtant radicalement différent

Cela dit, affirmer que Dieu est le « Tout-Autre », qu’il n’y a rien de commun entre lui et nous, c’est finalement prétendre qu’il nous est purement et simplement impossible de le connaître, de le rencontrer, et même de croire en lui. Ce Dieu abstrait est-il vraiment celui dont Jésus nous parle ? N’est-il pas au contraire celui qui est à la fois proche et lointain : « Notre Père qui es aux cieux » ? La prédication et l’enseignement de Jésus nous tournent vers un Dieu aimant et… humain, même s’il est radicalement différent de nous. Lacordaire (1802-1861), le célèbre prédicateur de Notre- Dame de Paris, a ainsi pu déclarer : « Il nous est plus aisé d’aimer un chien que d’aimer Dieu, c’est-à-dire que par une incompréhensible ingratitude, Dieu nous est plus étranger que quoi que ce soit au monde. » Oui, le Dieu « Tout-Autre » est à ce point absolu et évanescent qu’il devient impossible de l’aimer et qu’une telle prétention deviendrait tout simplement absurde.

Alors, il est important de voir en Jésus l’humanité de Dieu. Dieu ne nous est pas étranger. D’autre part, sa force créatrice traverse le monde, l’histoire, nos vies. Dieu, pourrait-on alors proposer, est relatif, c’est-à-dire au sens premier de ce mot, en relation avec ce monde et nous. Le réel est ainsi animé de l’intérieur par un dynamisme divin selon lequel Dieu est en l’homme et l’homme est en Dieu. « Ne savez-vous pas que […] l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Co 3,16.)

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