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Theodora de G. F. Haendel un plaidoyer musical pour la liberté

Didyme donnant ses vêtements militaires à Theodora. Gravure néerlandaise du XVIIIe siècle.

Didyme donnant ses vêtements militaires à Theodora. Gravure néerlandaise du XVIIIe siècle.

 Theodora est l’avant-dernier oratorio de Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Composé en 1749, il repose sur un livret de Thomas Morell (1703-1784), ecclésiastique anglican cultivé et amateur d’histoire. Le texte de Morell, inspiré d’un roman d’édification du physicien Robert Boyle (1627-1691), narre le martyre de deux chrétiens, Theodora et Didymus, au IVe siècle de notre ère. Parce qu’ils ne veulent pas sacrifier aux cultes romains, Theodora et Didymus finiront sacrifiés par la volonté du gouverneur d’Antioche, Valens. Au premier abord, cette histoire ne semble rien avoir de bien intéressant à nous dire – pire : en faisant l’apologie du martyre, elle paraît même incongrue dans les temps que nous traversons. Ce serait pourtant aller un peu vite en besogne que d’en rester là.

D’abord parce que ce n’est pas la foi des deux martyrs que Haendel et son librettiste ont voulu mettre en valeur, mais bien ce que les théologiens du temps appelaient leur « vertu » : Theodora refuse en effet de sauver sa vie en sacrifiant sa chasteté aux soldats romains tandis que Didymus n’accepte pas de survivre en laissant Theodora mourir injustement. C’est l’expression de cette vertu morale (nous dirions aujourd’hui de cette « éthique ») qui va frapper Septimius, un centurion romain : par-delà la divergence de convictions religieuses, la vertu de Theodora lui fait rapprocher la jeune chrétienne de la romaine Lucrèce qui, elle aussi, avait préféré mourir plutôt que d’accepter d’être victime d’un viol.

Il est important de relever ici que dans la première version du livret de Morell, ce rapprochement de la martyre chrétienne et de la martyre romaine conduisait Septimius à se convertir au christianisme. Or, on sait que Haendel demanda expressément à Morell de renoncer à cette scène de conversion. Pourquoi ? Parce qu’en lui faisant reconnaître l’humanité qui rassemblait Théodora et Lucrèce par-delà leurs convictions religieuses, Haendel faisait de Septimius une figure de tolérance païenne et soulignait ainsi le caractère relatif des convictions religieuses par rapport à la commune humanité des deux femmes.

Du coup, les deux martyrs chrétiens n’apparaissent plus comme des fanatiques prêts à mourir pour leur foi, mais comme de simples humains opposant leur liberté de conscience à la force de la coercition. On ne peut alors s’empêcher de penser à ce courant de « freethinkers » qui, depuis cinquante ans, attaquaient les dogmes chrétiens au nom de leur liberté de penser – en particulier lorsque Didymus, dès le début de l’œuvre, chante :

« Ne devrions-nous point laisser éternellement libre l’esprit humain né libre ? N’est-il pas vain de vouloir imposer une croyance par la plus terrible menace, celle de la mort ? » La croyance ne se force pas – telle est peut-être la leçon ultime de Haendel dans Theodora. La foi ne se force pas car c’est justement dans sa liberté que peut se fonder la promesse d’éternité qui est adressée à l’être humain : comme le chante Irène, cette autre chrétienne, dans un des airs les plus fameux de l’œuvre : « Telle l’aurore s’avançant à pas couleur de rose pour dissiper les ombres de la nuit, tu chasses nos vertueux tourments pour laisser place à nos espoirs de lumière  éternelle. »

L’éternité est promise à l’être humain pour autant qu’il puisse rester libre. De ce point de vue, le message de Theodora n’a pas pris une ride.

 

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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