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Croire ou douter ? Croire et douter

Peut-on dire que la foi absolue, sans le moindre doute, n’existe pas ? Bien des exemples trouvés dans la Bible ou l’histoire du christianisme semblent illustrer le contraire : c’est la foi d’Abraham, de Job, de tant de héros bibliques et de nombreux chrétiens d’hier ou d’aujourd’hui. C’est une foi malgré tout. À ceux-là, croire ne pose, apparemment, aucun problème, quelles que soient les circonstances. Leur foi est une donnée simple, acquise à jamais et qui ne se discute pas. Mais nombreux sont ceux qui doutent, tiraillés entre le désir de croire et le doute le plus cruel, ceux pour lesquels le doute est une « écharde » (cf. 2 Co 12,7) qui les tourmente sans cesse, comme ce père qui proclame dans la même phrase sa foi et son incrédulité: « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon manque de foi ! » (Mc 9,24) Pensons aussi et surtout au Christ lui-même, devenu par son supplice pleinement homme sur la croix et, de ce fait, connaissant le doute, oui doutant de l’amour de Dieu, mais non de son existence, il est vrai, puisqu’il s’adresse à lui : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?… »

  Une marche du doute vers la foi.

Mère Teresa, dont le monde entier admirait la foi inébranlable, reconnaît qu’elle a toute sa vie, avec quelle douleur, douté. Dans ses mémoires, elle décrit ce qu’elle appelle « la nuit de la foi » : « Dans mon coeur il n’y a pas de foi, pas d’amour, pas de confiance, il y a tant de souffrance, la souffrance d’un désir brûlant… » Innombrables sont ceux qui, comme la « Sainte de Calcutta », doutent, qui souhaiteraient croire simplement, sans se poser de question, mais qui n’ont pas ressenti en eux ce « don de Dieu », comme on l’appelle souvent : la foi. La foi peut en effet être vécue comme un don que Dieu accorde à certains, de façon apparemment arbitraire, mais le vrai don de Dieu n’est-ce pas plutôt le pouvoir qu’il a donné à tous de marcher du doute vers la foi ? Même quand elle « tombe du ciel », la foi est, en effet, le résultat d’une maturation lente, d’années de méditation, d’interrogations, de lectures, de rencontres. Paul n’aurait pas connu l’illumination du chemin de Damas si sa longue fréquentation des chrétiens, fût ce pour les persécuter, ne l’avait conduit à s’interroger et rendu capable d’entendre la voix du Christ. Dieu accorde à chacun de pouvoir cheminer à sa rencontre en s’interrogeant, parfois sans le savoir, sans certitudes, parfois même en s’opposant à lui.

La foi : un acte dynamique et une recherche

Pour Paul Tillich (1886-1965), la foi est le « devenir ultime de l’homme » ; la foi n’est pas un état : c’est un acte, l’acte dynamique par lequel nous cherchons Dieu. L’important n’est pas d’atteindre ce but, d’ « avoir la foi », comme on dit, mais, parce qu’on a douté, de se mettre en marche vers lui. Un dynamisme dont rend compte la belle traduction, parfois controversée, des Béatitudes par A. Chouraqui (« En marche »…! Au lieu de « Heureux »). « Tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé », dit le Dieu de Pascal. S’interroger, l’acte de foi par excellence : la foi sera notre réponse à l’amour de Dieu. Nous n’avons pas à « avoir » la foi : elle s’impose à nous au terme d’un cheminement personnel que la grâce de Dieu nous accorde de faire. Il n’y a donc pas de honte à douter. Le doute peut être la force qui nous pousse à faire le premier pas vers Dieu. Pour certains, la foi est un don tombé du ciel qu’il convient d’accepter sans se poser de questions. Pour d’autres, c’est la réponse évidente à la grâce offerte, mais rien ne serait plus faux que de prétendre que celui et simultanément doute, est pour cela séparé de Dieu et de son amour : vouloir croire sans douter, n’est-ce pas prétendre à une sorte de sainteté surhumaine, ne pas s’accepter comme homme ? Une foi chimiquement pure peut être un « don de Dieu ». Ce peut être aussi une ruse du Diable. Mère Teresa n’était-elle pas chrétienne, elle qui, ayant souffert de son manque de foi toute sa vie, ajoutait : « Je veux Dieu de toute mon âme » ? La quête d’un Dieu que l’on cherche tout en doutant est une démarche profondément croyante. Écoutons une autre voix, celle d’Augustin qui dans son traité sur la Trinité, s’adresse ainsi à Dieu : « Mon Dieu, mon Seigneur, mon espoir unique, accorde-moi de n’être jamais las de te chercher, qu’avec passion, toujours, je cherche ton visage. » Une prière que chacun peut faire sienne. Être chrétien, ce n’est pas nécessairement avoir une foi inébranlable et encore moins tenter de l’imposer par la persuasion ou la coercition, par la force des kalachnikovs ou des dollars ou même par un enseignement aussi sage ou savant soit-il, aussi biblique soit-il : il est impossible de forcer quiconque à croire, mais on peut aider à douter ou, plus précisément, à se poser des questions, à cheminer par soi-même vers la vérité. L’important est de faire comprendre qu’au-delà de la recherche exclusive du bien-être et de la jouissance immédiate, il est bon de s’interroger, de poser la question des questions : celle de Dieu… fût-ce pour répondre par la négative ! Pire que le doute, il y a l’indifférence. Des paroles, des actes, une attitude peuvent donner le coup de pouce du doute et de l’interrogation qui, avec l’aide de Dieu, deviendront chez certains cette communion complète avec Dieu incarné en Jésus-Christ ; ce sera là alors une foi véritable, solide, incontournable.

 Le doute, une fenêtre ouverte sur l’espérance

Certains seront peut-être choqués de trouver ici, pour ainsi dire, l’éloge ou même l’apologie du doute. La leçon d’adieu donnée par L. Gagnebin en 2002 à la Faculté de théologie protestante de Paris s’intitulait : « Un éloge du doute » ! C’est ce doute qui peut nous ouvrir la porte de la foi et qui la justifie. Une foi authentique peut ainsi être précédée ou accompagnée par le doute. Loin d’être une « écharde » dans notre chair, le doute donne aussi à notre foi une dimension essentielle : l’espérance. Croire tout en doutant, c’est espérer. Le doute nous fait accéder à l’espérance. « Je ne crois rien, mais j’espère tout », disait ce mourant à son pasteur. Chaque année, tous les chrétiens du monde célèbrent à Pâques bien plus qu’un miracle, bien plus que la résurrection d’un être de chair : ils affirment leur confiance dans le triomphe de la Vie. Quelles que soient la force ou la faiblesse de notre foi, il y a dans ce récit de Pâques un mystère auquel nous ne pourrons jamais accéder tant il dépasse les limites de notre entendement. Ce tombeau vide, incompréhensible, est un message d’espérance : il nous dit que la mort, même injuste (cette « violence indue », comme l’appelle Simone de Beauvoir) – et elle est si souvent ressentie comme telle – même horrible, n’est pas une fin et que nous pouvons espérer que la vie triomphera, que le mal sera vaincu. Si la mort est véritablement la fin, alors notre vie n’est pas en plénitude. « Si Christ n’est pas ressuscité, dit Saint Paul, alors notre prédication est vaine, et vaine aussi notre foi. » (1 Co 15,14) Notre vie de chrétiens est justifiée par l’écoute de la promesse de Pâques et l’espérance de la victoire de la Vie. Par-delà les doutes et les interrogations, c’est cette espérance, osons dire ce pari, qui justifie notre recherche incessante de Dieu, qui justifient notre prière.

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À propos Jacques Beurier

est chirurgien en orthopédie-traumatologie. Il a participé avec différentes Organisations Non Gouvernementales à des missions chirurgicales en Afrique et, depuis 2010, en Haïti. Il est étudiant à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris).

Un commentaire

  1. bernardbouyssou@free.fr'

    Vous pouvez aussi vous rapporter au beau livre d’Ellul, La foi au prix du doute.
    Merci pour votre article.

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