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L’effraction à Capharnaüm

Afin que le paralysé de Capharnaüm puisse s’approcher de Jésus, ses amis font un trou dans le toit de la maison où il se trouve. L’irruption, au-dedans de cette maison, de celui qui était dehors met en question la frontière entre l’intérieur et l’extérieur de la communauté croyante.

  La scène est bien campée : entré dans une maison de Capharnaüm, Jésus enseigne à une foule d’auditeurs si nombreux que la maison est pleine à craquer et que plus personne ne peut entrer. L’image de l’Église se devine dans cette assemblée d’auditeurs attentifs à la parole de Jésus. Mais pour ceux qui sont à l’extérieur de la maison, l’accès à Jésus est impossible : portes et fenêtres bouchées, fermées par la densité de la foule. Les murs de briques se prolongent en murs de dos. Ce n’est pas tant le nombre qui pose problème dans ce récit que la constitution d’un groupe hermétique, non ouvert sur l’extérieur et non accueillant à ceux du dehors.

  L’ensemble n’est pas seulement fermé, il est enfermant :

  enfermant pour la parole de Jésus qui ne sort pas de l’intérieur de la maison, et d’ailleurs le récit n’en dit rien. La parole parlée est inaudible au-delà de la masse des auditeurs. Elle ne parle plus, étouffée qu’elle est à l’intérieur de murs hermétiques.

  enfermant pour Jésus lui-même, devenu inaccessible à ceux de l’extérieur et coupé de ceux qui ont besoin de lui dans un autre ministère que celui de l’enseignant. La foule s’est refermée sur lui comme la pierre refermera l’entrée de la grotte de l’ensevelissement.

  L’audace des amis d’un homme paralysé va faire brèche dans cette situation bloquée. Faute de pouvoir passer la porte, ces hommes démontent le toit, comme des voleurs, comme des casseurs. Cette effraction est cependant bénéfique aussi bien pour leur ami que pour Jésus. L’accès est ouvert, libéré ; non seulement l’homme paralysé accède au plus près de Jésus, mais Jésus peut redevenir celui en qui le règne de Dieu s’est approché (Marc 1,15), pour tous. Sa parole s’affranchit elle-aussi des contraintes d’une parole attendue pour délivrer un message qui excède le cadre des certitudes religieuses : tes péchés sont pardonnés. La parole n’est plus inaudible, elle est devenue inouïe et fend les convictions religieuses des scribes. Après les casseurs, le blasphémateur. À la paralysie des membres de l’homme correspond celle de la pensée des scribes. Mais Jésus annonce et déclare un pardon sans condition qui est guérison, Jésus met en acte une guérison sans condition qui est pardon. Sa parole est pleine d’autorité car elle libère de la paralysie des membres comme du poids du péché qui paralyse l’être.

  Il en est du trou dans le toit à Capharnaüm, comme des cieux déchirés au bord du Jourdain, comme du voile du sanctuaire déchiré à Jérusalem, comme de la pierre roulée un matin : des ouvertures par lesquelles font irruption des présences, des paroles, de la vie, inattendues. Cependant, à Capharnaüm, l’ouverture est oeuvre humaine tandis que le récit de Marc attribue les déchirures des cieux et du voile ainsi que la pierre roulée à des interventions divines. La correspondance n’en est pas moins certaine et l’initiative des amis de l’homme paralysé incite le lecteur à la vigilance envers toute compréhension de la communauté chrétienne comme mise à l’écart de l’agitation et des cris du monde. La situation de ce récit tout au début de l’évangile fracture les catégories du dehors et du dedans, de l’intérieur et de l’extérieur. Celles-ci sont désormais incapables de dire une identité nouvelle, ni celle de Jésus comme Fils de Dieu ainsi que le confesse l’évangile, ni celle de ceux dont Jésus se fait proche et qui ne se définit plus en appartenance mais se raconte en relèvement et en libération.

  Marc invite ainsi ses lecteurs à penser une Église trouée, poreuse, une Église semblable à une tente aux cordages allongés et aux espaces toujours élargis, une Église à l’architecture légère et modulable et privilégiant les dynamiques d’ouverture, une Église qui laisse passer les humains comme la Parole.

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À propos Dominique Hernandez

est pasteure de l’Église protestante unie de France au Foyer de l'Âme à Paris

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