Quand une parabole porte une affirmation centrale, mais que d’autres manuscrits de la même parabole portent l’affirmation contraire, sait-on encore à quel saint se vouer ?
La parabole des deux fils est peu commentée, trop moralisatrice, et aussi trop évidente : faire la volonté du Père, ce n’est pas seulement dire « oui, oui », mais vraiment l’accomplir. On sait bien qu’il ne faut pas se contenter de bonnes paroles, mais qu’il faut agir en cohérence, et le Christ lui-même a bien dit qu’il ne suffisait pas de dire « Seigneur, Seigneur » mais de faire la volonté de son Père (Mt 7,21). Ceux que Dieu recherche, ce ne sont pas les prétendus « bons croyants », ou « bons pratiquants », mais ceux qui vivent concrètement l’Évangile d’amour, de pardon, et de service dans ce monde. Et puis on peut se « convertir », même si on s’est opposé à Dieu un temps, l’important, c’est finalement de bien vouloir travailler dans sa vigne in fine.
Mais cela est un peu trop simple, et la simplicité est toujours suspecte dans la Bible. Or voici que la plupart des versions modernes de la Bible évoquent, par honnêteté, un petit problème dans l’établissement du texte. Souvent une simple note dit : « certains des manuscrits inversent les réponses ». Autrement dit, celui qui aurait « fait la volonté du père » serait celui qui a dit « oui » et qui n’a rien fait. Cela semble absurde, et l’on suppose que ce devait être une erreur de copiste.
Et si c’était justement cette version qui était la plus intéressante ?
On peut penser que le premier fils dit « oui » de tout son coeur à l’appel de Dieu, c’est le cri de la foi, de l’adhésion, de la bonne volonté. Ensuite, il ne parviendra pas à réaliser ce qu’il voulait, peut être qu’il en a été empêché, peut-être qu’il n’a pas eu la force ou le courage, qu’il a oublié, ou simplement qu’il ne l’a pas fait, même pour de mauvaises raisons, mais ça, c’est le lot de nous tous, il est pécheur, oublieux comme nous. Mais voilà, ce qui compte, ce n’est pas le résultat, ce ne sont pas les « oeuvres », mais la volonté sincère, la conviction, la « foi ». L’autre fils, il fera quand même ce que Dieu voulait, c’est vrai, mais il commencera par dire « non », il s’oppose à Dieu, il refuse le projet créateur de Dieu. Cela est grave, c’est le péché originel, le péché d’orgueil, le péché contre le Saint Esprit. Ensuite, le texte dit, « il changea d’avis », il ne faut pas alors invoquer une quelconque « conversion », mais le simple fait que, finalement, il voulut bien. Certes il a fait le bien en fin de compte, mais pas par fidélité. Or précisément, l’Évangile nous dit que ce qui compte, c’est plus notre « foi » que nos « oeuvres ».
Ainsi, si quelqu’un a dans sa poche une pièce de monnaie, qu’il la perd, et qu’elle est trouvée par un pauvre, selon le judaïsme traditionnel, cela lui est imputé en mérite parce que finalement il a fourni de l’argent à un pauvre. Dans le christianisme, on dirait plutôt que celui qui, voyant un pauvre, s’arrête pour lui dire « mon ami, je compatis avec ta misère, tiens, voici je vais te donner de l’argent », mais s’apercevant alors qu’il n’a rien sur lui doit repartir sans avoir rien donné d’autre que son attention, celui-là aura accompli la volonté du Père. Pourtant, lequel des deux aura effectivement donné de l’argent au pauvre ?
On comprendrait que les copistes n’aient pas saisi et aient voulu retourner la parabole pour la rendre plus logique. Mais c’est pourtant comme cela qu’elle est la plus intéressante, la plus radicale et qu’elle permet de comprendre la suite : Jésus compare les prostituées, les pécheurs, qui ne font pas les bonnes oeuvres de la loi, mais qui, de tout leur coeur, aiment et demandent pardon à Dieu, avec les pharisiens, professionnels des bonnes oeuvres, mais qui se placent eux-mêmes au centre de leur religion avec leurs mérites.
Nous sommes sauvés, non par les oeuvres, mais par la foi, mais néanmoins ne nous contentons pas de paroles ou de pseudo bonne volonté, et accomplissons la volonté de notre Père, nous avons bien là deux paraboles non pas contraires, mais complémentaires.
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