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Chroniques d’un pasteur à vélo

Robin Sautter, pasteur dans le Pas-de-Calais, utilise le vélo pour se déplacer. « La conversion chrétienne n’est pas une question de doctrine, c’est avant tout un changement de comportement », dit-il, pour expliquer ce choix d’un moyen de transport non polluant et… bon pour la santé !

    Pasteur pour l’Église Réformée de France, j’ai été nommé sur mon premier poste, en juillet 2006, dans la paroisse de Arras-Wanquetin. J’y exerce les fonctions traditionnelles du pasteur de paroisse et comme je me déplace à vélo et que je dénonce assez facilement les excès de notre société de consommation, j’ai rapidement reçu l’étiquette du « pasteur écolo ».

Cette étiquette me dérange car aujourd’hui nous sommes nourris de discours écologiques jusqu’à l’indigestion. Des films, des émissions, des conférences, des publicités, des expositions… il y en a pour tous les goûts. Malgré cela, les véritables changements sont encore loin.

   Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. On peut dire de quelque chose : « Voyez, c’est nouveau ! » Pourtant, cela existait longtemps, longtemps avant nous. (Qo 1,10)

À l’aube de cette année 2010 ce verset m’est apparu comme une évidence. Il illustre bien, je trouve, la vanité de nos discours par rapport à l’urgence de la situation. Un grand débat sur la taxe carbone est mené pour finalement aboutir à des petites mesures qui ne changeront pas grand-chose ; les agro-carburants qui ont suscité tant de beaux discours sont aujourd’hui controversés. Les ampoules fluo-compactes, soi-disant miraculeuses, sont finalement plus dangereuses et plus difficiles à recycler que les ampoules à incandescence. Vanité des vanités, tout est vanité…

Alors comme pasteur, je me garde bien de défendre telle ou telle solution technique et j’essaye au milieu de ces débats qui divisent, d’actualiser le message biblique tout en évitant les positions trop partisanes.

En plus de la Bible, j’utilise un outil d’évangélisation merveilleux et pourtant méconnu : la bicyclette. Avec le visage au vent, je peux m’arrêter facilement pour discuter. Et puis le choix du vélo interpelle : pourquoi choisir systématiquement ce mode de transport alors que tout est fait pour la voiture ? Le vélo me procure une visibilité très utile et me facilite beaucoup les prises de contact.

J’aurais aussi bien pu adopter la marche pied et ce serait probablement mieux, car plus propice à la réflexion et à la méditation. La marche est le mode de transport le plus universel, utilisé par Jésus, par Paul, par les prédicants du Désert, par Felix Neff ou Théodore Monod. Mais dans notre époque obnubilée par la vitesse, l’efficacité et le rendement, le choix de la marche est plus difficile à défendre que le vélo : elle n’est envisageable que pour le loisir et le shopping…

Le matin je dépose à vélo ma deuxième fille à la crèche : « Mais elle doit avoir froid ? » À force d’entendre cette remarque je réalise que si l’on décide d’expérimenter des voies originales, on s’expose au jugement d’autrui. Pour être plus tranquille, la tentation est alors grande de faire comme tout le monde, de rentrer dans le rang en attendant la solution miraculeuse.

Comme tout cycliste urbain, j’ai aussi le droit à la grande question : « Et quand il pleut ? » J’essaye de répondre : « Oui parfois il pleut. Cela me rappelle que je ne contrôle pas tout : ni le temps qu’il fait, ni la panne technique. Je préfère prendre le temps comme il vient, en y voyant une trace du Créateur. » La reconnaissance de son humilité, des limites de sa vie, une attitude chère aux paysans de Wanquetin, se vit plus difficilement en ville.

Certains me confient aussi : « J’aimerai bien pouvoir faire comme vous, je vous envie mais je ne peux pas (trop dangereux, pas le temps…). » En général il est difficile de réagir à chaud car la personne est à la fois prisonnière de ses habitudes et de son sentiment de culpabilité. Sans que je dise quoi que se soit, mon attitude est parfois perçue comme un jugement moral et l’interlocuteur ressent le besoin de se justifier. Si la conversation le permet, j’essaye de dire que je ne crois pas à la fatalité, qu’il est toujours possible de changer (de se convertir ?).

Une dernière remarque, plus pernicieuse, a l’avantage d’aller à l’essentiel : « À quoi bon faire des efforts si les autres (en général on dit “les chinois”) continuent à polluer plus que nous ? ». Argument classique pour ne pas s’engager : nous trouverons toujours quelqu’un qui sera plus pécheur que nous. Faut-il pour autant continuer à pécher ? Selon moi, l’enjeu de celui qui se préoccupe de l’environnement n’est pas de sauver le monde mais de sauver sa propre vie. Si j’accepte de faire des efforts pour polluer moins, ce n’est pas par esprit de sacrifice mais c’est parce qu’alors ma vie sera plus belle, ma vie prendra tout son sens.

À travers ces bribes de conversation, je réalise que mon mode de vie, s’enracine dans mes convictions chrétiennes. Du coup je ne sais plus si je témoigne de ma pratique du vélo ou de mes convictions chrétiennes… Pour moi, la spiritualité n’a de sens que si elle interpelle le quotidien. La conversion chrétienne n’est pas une question de doctrine, d’appartenance ecclésiale ou de confession de foi, c’est avant tout un changement de comportement, une prise de conscience qui ne peut se produire que dans le quotidien.

En revenant de la crèche, je décide de passer au temple pour y récupérer un livre. C’est l’heure de pointe, ça bouchonne et il est difficile de se garer, mais à vélo, en cinq minutes c’est réglé.

L’après midi je reprends mon vélo pour voir deux personnes âgées de la paroisse. Il m’arrive aussi de devoir prendre la voiture quand la personne habite trop loin.

Chez les personnes que je visite, j’entends des réflexions :

« Dans le temps on n’avait pas tout ça et finalement on était plus heureux »,

« Le dimanche on faisait cinq kilomètres à pied pour aller au temple en famille et cela paraissait normal »,

« Quand on cultivait, les parcelles étaient petites alors on pouvait discuter entre paysans. On prenait le casse-croûte en même temps. Maintenant… »,

« Avant il y avait de la vie dans le village, maintenant je regarde par la fenêtre et je ne vois que des voitures qui passent sans que je puisse voir qui est à l’intérieur ».

Je reçois ces réactions avec beaucoup de prudence car je sais bien que notre mémoire est sélective et qu’elle tend à idéaliser le passé pour mieux supporter les difficultés du présent. Pour autant, je trouve qu’il y a beaucoup de justesse dans ces récits. En tant que trentenaire et père de famille, la plus forte opposition que je rencontre quand il s’agit d’environnement ou de questions économiques, c’est avec la génération de mes parents, celle du plan Marshall et des Trente Glorieuses, celle qui a construit le monde d’aujourd’hui. Il s’agit là d’un banal conflit de génération dans lequel il ne faut pas s’embourber.

Après ces visites, je file à la gare et je mets mon vélo dans le train de 19 h 15 pour Douai. La paroisse voisine n’a pas de pasteur alors j’y vais une fois par mois, en train. J’essaye toujours de trouver des alternatives à la voiture car je préfère prendre mon temps, rester en vie et en bonne santé.

Il a fallu changer les horaires de cette étude biblique pour que je puisse rentrer par le dernier train et tout à coup, chacun prend conscience qu’il y a de la distance entre Douai et Arras. Chacun prend conscience que faire trente kilomètres, le soir après une journée fatigante, même pour un jeune pasteur, ce n’est pas anodin. La voiture montre l’envers de son décor. Alors qu’elle était synonyme de liberté, elle est de plus en plus vécue comme une contrainte. Mais elle a pris tellement de place dans nos vies que nous ne savons plus fonctionner sans elle. Pour faire prendre conscience de notre dépendance à l’automobile et de ce que nous perdons à travers cette dépendance, les Églises allemandes ont lancé un jeûne de carême sans voiture, sous le nom de « Autofasten ». Nous sommes malheureusement encore loin de pouvoir imaginer ce genre de campagne en France…

Je crois que, dans la mesure où la « conversion écologique » ne signifie pas totalitarisme politique mais plutôt libération de ce qui nous emprisonne, elle peut devenir source de vie et donc hautement spirituelle. Le respect de la création n’est pas simplement politique ou technique, il est d’abord de l’ordre de la conversion chrétienne : un acte personnel, en réponse à une invitation divine, qui ne se fait pas sans épreuves mais qui surtout fait jaillir la lumière et la joie sur ma propre vie.

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À propos Robin Sautter

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