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Suis-je un homme féministe ?

 

Mais c’est une évidence ! Né au mitan des années 50, j’ai connu une adolescence post-soixante-huitarde, témoin de l’essor du second féminisme, celui qui, après la conquête des droits politiques et sociaux, allait donner aux femmes la maîtrise de leur sexualité. Précisément, un engagement parental dans le mouvement du « Planning Familial », puis de « Choisir » en faveur de la libéralisation de l’avortement m’avait familiarisé avec ces causes féminines : l’avocate Gisèle Halimi figura d’emblée dans mon panthéon personnel.

Un regard rétrospectif plus appuyé me rappelle néanmoins que dans le couple parental subsistait une répartition assez traditionnelle des rôles et des tâches : à mon père le salariat rémunérateur, à ma mère la tenue du foyer et la vigilance sur l’éducation des trois enfants – deux filles et un garçon – que nous étions. Ma sœur aînée née en 1950 essuya non sans conflit les plâtres de la libéralisation des mœurs, alors que plus tard je bénéficiais en qualité de garçon d’un régime privilégié. Sans spécialement m’en rendre compte : l’univers féminin concret me restait assez extérieur, car je fis partie des dernières générations à avoir connu un enseignement secondaire non mixte.

Mes années d’étudiant furent aussi celles de voyages dans le Tiers-Monde où je découvris des sociétés archaïques, où l’oppression des femmes était la règle. Cela me confortait dans ma satisfaction de vivre dans un Occident libéral et j’adhérais à l’idée que plus de liberté était forcément positif. Le conservatisme concernant les mœurs et la sexualité juvénile me scandalisait et je m’indignai en 1969 du sort réservé à Gabrielle Russier, cette enseignante poursuivie pour une liaison avec un élève mineur, jetée en prison et poussée au suicide.

Mon métier d’enseignant dans le secondaire me vit évoluer sans difficultés particulières dans un milieu majoritairement féminin, sauf dans les échelons hiérarchiques supérieurs. Quand, muté dans une petite ville de province, je me mis en couple avec une collègue de mon âge, j’avais le sentiment d’une grande égalité puisque nos métiers, nos rythmes et nos revenus étaient les mêmes.

Mais les aléas de la vie allaient me sortir rudement de ce féminisme de confort, passablement superficiel. Je confesse une répartition des tâches assez traditionnelle au sein de mon premier foyer, sans que ma femme ne s’en formalise particulièrement.

Tout changea sous l’effet d’un long et douloureux parcours médical qui allait finalement emporter mon épouse. La maladie l’ayant rendue stérile, nous optâmes pour une adoption internationale, infiniment plus courante dans les années 80 qu’aujourd’hui. C’était néanmoins un long parcours du combattant, surnommé « grossesse d’éléphant » mais il avait la particularité de nous mettre tous les deux à égalité dans l’attente et la maîtrise des obstacles. Quand nous arriva de l’étranger un beau bébé blond, ma femme proposa que je prenne le congé d’adoption, équivalent au congé de maternité mais accessible au père. Elle-même avait déjà connu avant moi l’expérience de la maternité et elle trouvait logique que je vive cette joie à mon tour. C’est ainsi que je découvris couches et biberons, réveils nocturnes mais surtout l’ineffable bonheur de porter mon enfant endormi dans son sac-kangourou. Mes sorties me valaient des regards admiratifs et, à ma femme retournée au travail, des remarques parfois peu amènes… Mais à ce temps heureux succéda le retour de la maladie et des hospitalisations prolongées de mon épouse. Il m’incomba de la soutenir, de m’occuper de nos deux enfants, de la maison, en plus de mon travail d’enseignant. Ce qu’on appelle aujourd’hui « la charge mentale », ce fardeau attaché au genre féminin, me montra ce que je n’avais encore jamais connu et qui concernait pourtant nombre de mes relations. Rien de bien spectaculaire, si ce n’est cette obsédante obligation de devoir penser à tout, du mot à mettre dans le carnet scolaire au rendez-vous chez l’orthodontiste en passant par le paquet de céréales manquant ou les protections périodiques de mon aînée…

Avec le recul, c’est d’avoir pris cette place traditionnellement dévolue aux femmes qui a fait de moi un homme différent et peut-être plus authentiquement féministe. Cela ne m’a pas forcément toujours facilité la vie. Quand je me suis remarié et que j’ai eu d’autres enfants, j’eus l’impression que mon expérience dans l’inversion des rôles n’était pas bien vécue par ma femme qui entendait détenir seule les prérogatives de mère et allait peu à peu me considérer comme « une rivale ». Le divorce et la paternité intermittente de « papa solo » qui s’ensuivirent prolongèrent ma différence.

Et ma foi religieuse dans ce cheminement ? Né athée, je choisis à l’âge adulte de rejoindre l’Église réformée. Tout jeune adolescent, j’avais été choqué par la promulgation par le Pape Paul VI de l’Encyclique Humanæ Vitæ considérant la contraception comme un péché mortel, puis par l’hostilité résolue de l’Église catholique masculine envers l’IVG, face à un drame qui pesait avant tout sur les femmes. Je n’aurais pas rejoint une Église qui n’ait pas fait une large place aux femmes, tout en étant conscient des progrès à accomplir pour plus de parité.

L’engagement ecclésial et un parcours théologique m’ont permis de prendre conscience de la place souvent méconnue des femmes dans les Écritures, et de la révolution que suscita en son temps le Christ à leur égard. Je me rappelle avec émotion ces pépites de l’Ancien Testament, dépeignant Dieu comme une mère avec son enfant blotti dans ses bras (Ps 22,10-11) ; la foi en Jésus de cette femme qui saignait ou celle de cette Samaritaine de si mauvaise vie… Mon compagnonnage avec l’Église unie du Canada, pionnière dans le féminisme et l’inclusivité a renforcé ma prise de conscience… Comme un message et une invitation à continuer dans cette voie et à prêter l’oreille à toutes les discriminations structurelles et les souffrances qui pèsent encore et toujours sur les femmes : inégalités de revenus et des tâches, discriminations hiérarchiques par le plafond de verre et, pire du pire, le lancinant fléau des féminicides. Quitte à procéder à un examen de conscience : la vague dénonciatrice lancée par le mouvement « Me Too » en 2018 ne concernait-elle que les autres ? Ai-je pu faillir, jeune mâle dominant, par une indifférence ou une complaisance, cédant à l’air du temps ? Sans tomber dans l’autoflagellation, certains épisodes de ma vie affective ont pu susciter en moi quelque doute.

Je ne suis pas né féministe, ma vie en m’ouvrant les yeux m’a rendu tel et puissé-je rester, modeste mais constant, un féministe en marche.

 

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À propos Jean Loignon

est président du conseil presbytéral de l’Eglise protestante unie de Clamart, Issy-les- Moulineaux et Meudon-la-Forêt.

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