Accueil / Dossier / Nous n’avons jamais été modernes

Nous n’avons jamais été modernes

Les protestants sont souvent accusés d’être trop sensibles à la modernité, de lui « courir après ». C’est une ritournelle que nous avons beaucoup entendue au moment du synode de l’EPUdF sur la bénédiction des couples de même sexe. Mais est-ce vraiment le cas ? Sur le plan historique, on peut je crois répondre avec le titre d’un livre de Bruno Latour : Nous n’avons jamais été modernes ! La question s’est en effet posée au XIXe siècle, comme André Gounelle le rappelle dans le dossier qui vient : alors que le protestantisme se muait en « néoprotestantisme », en protestantisme moderne, on a cherché à savoir s’il avait bel et bien favorisé cette modernité qu’on entendait embrasser. Beaucoup ont donc voulu prouver que le protestantisme était à l’origine du droit moderne, de l’économie moderne voire de la culture et de la science modernes. Très vite pourtant, l’historien, sociologue et théologien Ernst Troeltsch (1865-1923) a montré avec perspicacité que dans tous ces domaines, la modernité est née d’autres phénomènes : les sciences, le droit, l’économie ou la culture modernes ne doivent rien ou presque au protestantisme. Faut-il le déplorer ? Pour beaucoup, aujourd’hui, la modernité n’est plus aussi attirante que du temps de Troeltsch et on lui reproche d’avoir engendré les pires horreurs : les guerres mondiales, l’holocauste, le dérèglement climatique ou la financiarisation de nos existences. Bien sûr, pour la mettre en accusation, les arguments sont à géométrie variable, et on redéfinit volontiers la modernité en fonction de ce que l’on veut défendre ou au contraire rejeter. Nombreux sont donc ceux qui se réclament de la « postmodernité » ou de l’« hypermodernité », des concepts sur lesquels s’arrête également André Gounelle. Pour ma part, je le répète, je pense que nous n’avons jamais été modernes si, du moins, nous entendons par là une partie de ce que Troeltsch considère comme l’un des aspects essentiels de la modernité : la liberté de l’individu. Car la postmodernité, derrière ses discours ultralibéraux, est aussi une période de servitudes, celles qu’imposent le marché ou la consommation bien sûr, mais aussi certains discours « éthiques » qui ne sont en réalité, bien souvent, que des manières déguisées de nous faire entrer dans de nouveaux moules. Certes, la liberté « en soi » ne veut rien dire : nous avons toujours besoin de limites et de normes – ne serait-ce que pour ne pas être écrasés par autrui. Mais cela n’empêche pas, quand nous pensons à lui et que nous le regardons, de placer sa liberté au-dessus des contraintes que nous aimerions lui imposer, même avec les meilleures intentions du monde. Et de ce point de vue, nous ne serons jamais assez modernes.

À lire l’article de André Gounelle « Protestantisme et modernité »

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

Un commentaire

  1. feriaud.pierre@gmail.com'

    …. »Nous avons toujours besoin de limites et de moules ». !!!!

    Alors qu’ André Gounelle nous dit qu’être protestant c’est: « toujours protester » La liberté de pensée et de conscience en effet n’ a pas de limite lorsqu’elle est à la recherche de la Vérité. Cette Vérité est insaisissable comme l’a laissé entendre Jésus à Pilate.
    Le Protestant doit donc être prudent ans ses prises de positions « profanes » car ne sachant pas qu’elle est la Vérité, il ne doit pas imposer sa vérité. Il doit rester dans le doute et surtout ne pas se restreindre aux limites et aux moules qui se développent au fil des idées dominantes du monde.
    La modernité n’est qu’une étape dans cette recherche de la Vérité avec les moyens dont on dispose: la Foi et le travail d’amélioration des connaissances. L’ignorance est justement la cde création de limites et de moules.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading