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Au-delà du patriarcat

 

La critique du patriarcat fait partie des sujets de société récurrents avec l’écologie ou le postcolonialisme. La nécessité de la maintenir dans le champ de nos préoccupations vient notamment d’une réduction progressive et paradoxale de sa portée. Phénomène d’usure, il traduit surtout une mécompréhension du sens même de cette approche critique. Elle est indéniablement une lutte politique, sociale, professionnelle en faveur des femmes. Mais le patriarcat ne diminue pas face aux progrès sociaux, comme le rappelle Carol Gilligan, dans la lignée de sa publication fondatrice, Une autre voix de 1981 (ouvrage qui initie le courant de l’éthique du Care, du soin). Dans Why does Patriarchy persist? (publié en 2018, conjointement avec Naomi Snider), elle reprend le constat que, malgré les progrès effectués, le patriarcat se maintient (publié en 2018). Elle y offre une compréhension du patriarcat qui ne se limite pas à une certaine idée de la société traditionnelle dans laquelle les places des unes et des autres seraient bien circonscrites. Sa critique va plus loin que la simple remise en cause d’un modèle ancestral. Plus fondamentalement, elle place le patriarcat dans un régime de domination qui rend toutes nos relations problématiques ; que ce soit dans le couple, la vie morale ou professionnelle, et même dans l’amitié. Pourquoi ? Parce qu’il nous est demandé de sacrifier nos liens les plus significatifs, et que cela serait nécessaire pour grandir et devenir une personne libre.

Nous allons d’abord préciser les grandes lignes de cette critique pour ensuite en comprendre les opportunités dans le contexte ecclésial réformé.

La logique du sacrifice

Dans cette logique implacable, toute personne atteint sa maturité de sujet autonome une fois qu’elle peut revendiquer ne dépendre de personne, notamment sur le plan émotionnel. Devant cette demande latente qui exige du détachement et une objectivation des relations, vécues comme dangereuses pour l’intégrité de l’individu, les hommes seraient plus performants. Du moins, ils seraient mieux valorisés par l’éducation dans cette capacité à rompre les liens au nom de leur réalisation. Du fait même de ce dépassement des relations affectives, les hommes témoigneraient d’une morale plus universelle, plus juste, et d’un dépassement de soi qui feraient d’eux des personnes plus accomplies. Ce modèle, issu de la psychologie du développement d’après-guerre, qui voit dans cette capacité une supériorité morale, Gilligan le conteste en mettant en évidence une voix concrète, différente, singulière : la voix de la sollicitude (Care) portée par les femmes.

La voix de l’autre

Cette voix qui privilégie le lien, sa qualité, pour aller dans l’épaisseur des dilemmes moraux sous l’égide du soin, porte une issue possible à la rigidité des rapports de force et de domination du patriarcat. Gilligan et Snider se basent sur les théories de l’attachement dans l’enfance (de John Bowlby) et sur des enquêtes narratives individuelles pour qualifier l’importance des liens qui nous constituent et les blessures psychologiques qu’occasionnent les ruptures. À chaque fois que nous les sacrifions, que ce soit pour une carrière, pour être plus libres, plus détachés, nous nous objectivons et nous nous fantasmons comme plus entiers. Le patriarcat est la dénégation des affects, donc des liens dans leur prégnance. L’enfant, au plus vite, devra apprendre à se passer de sa mère, se durcir et se préparer à une vie sociale faite de maîtrise de soi et de distance. L’adolescent devra se passer de ses amis qui le retiennent (et qui ne seront pas aussi ambitieux que lui) ou abandonner une relation jugée trop proche, donc immature. Nous pouvons projeter à l’infini les situations dans lesquelles il nous est demandé de renoncer…

Une conscience accrue

Dans la plupart des récits collectés par nos autrices, il est récurrent que les personnes interrogées ne sachent pas exactement pourquoi elles ont fini par renoncer à des relations qui comptaient pour elles. Que cela se produise avec autant de naturel, et sans souffrances apparentes (mais bien réelles), est la raison de la persistance du patriarcat. Il s’agit désormais pour Gilligan et Snider, d’avoir une conscience plus aiguë de cette tendance pour la surmonter afin de préserver les relations. Ainsi, il n’est pas uniquement question du genre, mais de l’opportunité pour toutes et tous de vivre autrement, au-delà de la rigidité du patriarcat, pour s’épanouir dans le soin d’autrui.

Au-delà du patriarcat… l’Église ?

Le travail de Carol Gilligan nous offre l’opportunité de nous mettre à l’écoute de ces voix différentes, de nous distancier des solutions toutes faites, des automatismes, notamment dans le domaine de la vie morale. À la lutte pour la reconnaissance et pour l’égalité homme femme, s’ajoute cette approche qui perçoit dans la voix des femmes un approfondissement des questions au sujet de nos choix moraux, mais surtout de vie. Le choix de la sollicitude, de la complexité et du récit, transforme la société. Ce repositionnement participe depuis quelques années à la mutation des lieux qui auparavant étaient l’apanage du patriarcat, autoritaires et sourds devant la diversité et la profondeur des besoins humains. L’Église, avec les hôpitaux et le social, est un exemple de cette évolution. Dans les milieux réformés, la profession de pasteur s’est féminisée largement, et les classes en formation théologique voient de plus en plus de femmes affluer pour devenir majoritaires ; en Suisse romande le constat est saisissant. Cela témoigne de la pertinence sociétale de l’Église, axée désormais sur le lien, la sollicitude, l’écoute. La figure pastorale (toute figure ministérielle), en parallèle, du fait de sa féminisation, gagne une autorité nouvelle et inédite qui s’éloigne de la logique patriarcale. Les fondements de l’autorité ont changé, cédant le pas à une autorité de la faiblesse assumée, riche d’une critique des structures de domination et d’exclusion. C’est tout l’inverse d’un recul de la place de l’Église, déliée de son ancienne puissance théologico-politique.

L’autorité ne sera plus assise sur sa capacité à affirmer des vérités définitives, ou encore sur sa volonté de réguler les comportements des personnes. Elle avance en assumant la fragilité des liens, sans garanties ni certitudes, tout en rappelant l’amour indéfectible de Dieu en son fils pour sa création. Dans cette perspective théologique, le sacrifice créait un lien qui ne devait (et ne devra) jamais se défaire.

 

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À propos Dimitri Andronicos

éthicien, est co-directeur de Cèdres Formation depuis 2016.

3 commentaires

  1. jebatw@gmail.com'

    Tristesse est de constater que des mouvements à l’origine de la réforme et d’un réveil de le foi en Europe et au delà, sombre aujourd’hui dans le post-modernisme, le conformisme et se retrouve complètement porté par les courants de société. Il est bien vrai que l’homme a pu avoir une place qui a pu être à l’origine d’un écrasement de la femme. Ce qui se passe dans notre société occidentale aujourd’hui n’est pas une mise à pied d’égalité mais bien un renversement des positions et d’ici peu, l’homme blanc occidental ( et c’est déjà le cas dans la propagande télévisée) sera perçu comme une insulte a lhiso et à l’autre. Mais la parole de Dieu est claire sur la hiérarchie Dieu-homme-femme, qui déplaît à la société mais qui est aussi très mal comprise et très mal appliquée dans le couple (autant dans l’église qu’en dehors je l’admets). Ceux qui ne veulent pas le reconnaître peuvent se qualifier de ce qu’ils veulent mais si ils se disent Chrétiens ils ont un gros travail de rattrapage devant eux. Le mrob de notre société et notre monde n’est pas l’inégalité mais bien le rejet de Dieu.

  2. pierre.lavoisy@orange.fr'

    Le dossier mettant en cause l’idéologie patrarcale est tellement lourd et accablant qu’un commentaire dans un mail sera nécessairement insuffisant.
    L’IDÉOLOGIE PATRIARCALE ET LA QUESTION SEXUELLE SONT VISCÉRALEMENT LIÉES.
    Je signalerais donc quelques faits majeurs.
    1) L’idéologie patriarcale est le fondement idéologique des institutions ecclésiales traditionnelles. Ainsi il a fallu attendre 1965 pour que les femmes puissent accéder pleinement au pastorat dans l’Eglise Réformée, en contradiction totale auparavant avec la notion fondamentale de sacerdoce universelle de la Réforme Protestante.
    Le chef d’oeuvre en la matière est détenu par le mythe catholique et orthodoxe de Marie toujours vierge et toujours (spirituellement féconde) avec,en plus, pour le magistère catholique romain, une quasi-corédemptricité avec son fils !
    Ce mythe totalement non biblique fonde un idéal féminin, exempt de toute activité sexuelle, en totale opposition avec la sexualité selon la Bible, et plus particulièrement avec laTorah, alias Premier Testament (donc deutérocaniques grecs exclus). Je laisse tomber les causes historiques qui viennent de l’élimination du courant d’origine judéo-chrétien par Paul, assis le cul entre deux chaises sur la question de la femme.
    La grande église, fondée par Paul, en rajouta une couche au + IVè siécle, avec le théologien Jérôme de Stridon qui inventa un Joseph vieillard, donc impuissant, afin de préserver la virginité de son épouse Marie. Une nouvelle couche fut encore ajoutée avec le dogme non biblique du péché originel, manifestement de nature sexuelle, avec la notion d’Ève tentatrice, punie par la périodicité des menstrues et ne pouvant être sauvée que par la virginité ou par la maternité : cette notion d’impureté des régles est au coeur du refus par le magistère catholique romain d’accepter le sacerdoce pour les femmes de cette église.

    Ce mépris de la sexualité génitale et la condamnation de la jouissance sexuelle, identifiée à la concupiscence dont la femme était la cause, reçut son premier coup de grâce avec la célèbre pilule contraceptive qui permet à le femme de jouir avec son partenaire mâle sans la crainte de grossesses non désirées.
    Dans le même temps le droit à l’avortement renforçe les droits sexuels et reproductifs qui est l’enjeu principal actuel pour la libération de la femme face à un mâle pour qui elle n’est qu’un organe nécessaire à la la fois pour la reproduction et pour sa jouissance exclusive, d’où le nombre énorme actuel de viols et de feminicides.
    Actuellement dans le domaine politico-religieux ce qui caractérise entre autres l’idéologie patriarcale est son obsession anti-avortement avec sa volonté farouche de maintenir la femme sous la domination du mâle, et là nous rettrouvons la dimension mysogine de Paul qui est évidente dans certains de ses épîtres.
    Je concluerai avec la haine parfois camouflée, comme dans l’église catholique, mais très souvent violente, voire meurtrière, face aux couples homosexuels plus particulièrement mâles.La raison est simple : les rapports sexuels sont alors la sodomie et l’un des deux partenaires joue donc le rôle de la femme , ce qui est une horreur suprême pour le partriarcat : qu’un homme déchoit ainsi est une abomination. Et le patriarcat sent venir sa fin historique et panique face aux nouvelles connaissances sur les hormones sexuelles et l’apparition d’une nouvelle discipline des sciences humaines qu’est l’étude du genre.

    VOILÀ TRÈS SOMMAIREMENT CE QU’EST L’IDÉOGIE PATRARCALE, CONNDAMNÉE HISTORIQUEMENT À DISPARAÎTRE ET QUI PANIQUE FACE AUX PROGRÈS FOUDROYANTS EN BIOLOGIE. LE DÉBUT DE LA FIN EST LA RÉVOLUTION SEXUELLE PROVOQUÉE PAR L’INVENTION DE LA PILULE CONTRACEPTIVE QUE L’ÉGLISE CATHOLIQUE N’A TOUJOURS PAS ENCAISSÉE.
    CES PROGRÈS FOUDROYANTS PERMETTENT PAR EXEMPLE DE DISSOCIER L’ACTE HÉTÉROSEXUEL ET SA JOUISSANCE ASSOCIÉE DE LA REPRODUCTION AVEC LA PROCRÉATION MÉDICALEMENT ASSISTÉE AU GRAND DAM DU MAGISTÈRE CATHOLIQUE ROMAIN

    Pierre Lavoisy, chrétien de l’Eglise Protestante Unie de France.

  3. pierre.lavoisy@orange.fr'

    Si l’analyse de notre ami Dimitri Andronicos est convaincante et perspicace, il me semble qu’il aborde seulement à la marge l’essence même fondamentalement religieuse, donc sexuelle, du patriarciat multi millénaire.
    J’ai ainsi une approche moins optimiste sur le rôle positif des vieilles institutions ecclésiales dont les théologies sont pour la plupart dorénavant obsolètes Toutes les institutions ecclésiales, comme leurs théologies correspondantes qui les justifient, sont des créations humaines : ELLES SONT DONC PÉRISSABLES.
    (cf l’innovation majeure contemporaine qu’est la théologie protesante du Process, la seule cacapable actuellement d’assumer positivement les grandes révolutions scientifiques du XXiè siècle dans le respect total des ÉCRITURES, et dont les exégèses sont tout simplement héritières directes de l’extraordinaire esprit critique du judaïsme pour la Torah, alias Premier Testament, textes grecs deutérocanoniques exclus).

    Ma critique fraternelle se veut ainsi être l’illustration magistrale d’un principe fondamental de la Reforme protestante, à savoir qu’une église est un outil, rien qu’un outil, nécessaire pour la proclamation publique de la Parole et l’admlinistration correcte des deux sacrements que sont le Baptême et la Cène, donc certainement pas un intermèdiaire incontournable avec ses spécialistes cléricaux entre notre Créateur et les chrétiens pour le salut.
    D’où le célèbre Solus :
    SOLUS CHRISTUS, comme unique médiateur
    Et le princioe fondamental :
    ECCLESIA SEMPER REFORMANDA.

    Fraternellement vôtre.

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