Accueil / Conviction / Je ne peux pas affirmer que Dieu est éternel

Je ne peux pas affirmer que Dieu est éternel

 

Dieu est-il nécessairement éternel ? Cette question est peut-être saugrenue car, selon toutes les approches du divin, ce principe d’éternité est la fondation même du divin. Oui, mais pourquoi ? Pourquoi poser ce principe comme un axiome, par définition incontestable, alors que nous sommes précisément dans un principe d’incertitude, d’interprétation de cette intuition de l’existence de ce qui nous dépasse ? Ce dogme, car c’en est un, s’est imposé comme le fait que le ciel est bleu ou que 1+1 = 2… Or, nous sommes bien dans la formulation rationnelle d’une intuition, d’une expérience, et non dans la définition d’un réel observable et que l’on peut mettre en lois. La philosophie, et encore plus la théologie (qui repose sur un pari de l’existence de Dieu), ne pourront jamais être des sciences exactes. Le penser serait les trahir. Si la science s’approche du réel par hypothèses, le rôle de la philosophie et de la théologie est d’interpréter ce réel, pas d’en définir les lois. Encore une fois, dans le dialogue entre scientifiques et théologiens, indispensable pour s’interpeller, notre rôle de théologiens n’est jamais de se substituer à la science. Trop longtemps, on a réduit Dieu à ce que la science ne pouvait pas expliquer. Mais la science a fait des progrès, à pas de géant, et réduit de plus en plus l’inexplicable. Dieu n’est pas le bouche-trou de nos incompréhensions. Il n’est pas définissable mais interprétable, à la condition qu’on fasse le pari de son existence.

Alors Dieu est-il éternel ? Alfred North Whitehead (1861-1947) tente une hypothèse qui finalement conserve le principe de l’éternité. Dieu aurait, d’une part une nature primordiale, immuable et éternelle, et d’autre part une nature « conséquente », qui, selon le principe de sa philosophie du process, pourrait évoluer au gré des événements. En effet, pour lui, Dieu est la somme des possibilités données pour chaque événement. Il est donc tributaire des événements qui adviennent, dans une forme d’interaction vivante et évolutive, dans un « dynamisme créateur ». En disant cela, il est assez proche de ce que pouvait écrire Martin Luther. Celui-ci évoquait un Dieu « en soi » (ou parfois « deus nudus », c’est-à-dire Dieu nu) et un Dieu « révélé », c›est-à-dire un Dieu en relation avec l’être humain (« deus revelatus »). Je ne peux dire de Dieu que sa relation avec moi, et non son être même. Je ne peux que décrire l’expérience de la foi.

Mais allons un peu plus loin : pourquoi maintenir alors le principe de ce Dieu éternel ? On sait désormais que l’univers, et donc le réel, a un âge (13,8 milliards d’années tout de même !). On sait aussi que le temps est lié à la matière, que l’un n’existe pas sans l’autre. Je vous renvoie aux explications très claires de Stephen Hawking (Brèves réponses aux grandes questions, 2018 ) Il évoque notamment la découverte selon laquelle, dans les « trous noirs », le temps n’a pas plus d’existence que la matière, une sorte de big bang inversé. Mais je suis sûr que, comme moi, vous vous posez cette inévitable question logique : avant le Big Bang, il y avait quoi ? Les scientifiques nous répondent que même le temps n’avait pas d’existence… Difficile à concevoir, j’en suis d’accord ! Alors essayons une hypothèse : celle de la « coexistentialité » de l’univers et de Dieu. Puisque, par définition, je ne peux rien dire sur « avant », alors je pars du principe de l’existence d’un Dieu « en même temps » que l’univers. Le Big Bang est, pour moi, un « point aveugle » de la théologie : je ne peux rien dire ni penser sur un Dieu qui aurait préexisté à l’univers. Ne procédant que de manière théorique, le Dieu dans lequel je crois est cette énergie fondamentale du Big Bang, mais sans le limiter à n’être qu’un phénomène physique soumis à des lois, qui accompagne notre réel depuis ses origines. Dieu est un voyageur patient, mais qui choisit de rencontrer nos impatiences.

En d’autres termes, répondre à la question « Dieu est-il éternel ? » est pour moi impossible car le temps n’existe qu’avec la matière, et Dieu n’existe qu’avec le temps. Je me concentre alors sur l’implication de ce que je pense être Dieu dans l’existence du monde, sa relation au monde et notamment avec l’être humain.

Pour étayer bibliquement cette hypothèse, je pourrais ici mentionner le récit du « buisson ardent » (Genèse 3). Dans ce récit symbolique de la révélation de Dieu à Moïse, Dieu est « intouchable » (« Tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne saurait me voir et vivre. » Exode 33,20), mais il répond à la question de Moïse qui veut savoir qui lui « parle ». Cette réponse fut trop souvent traduite par « Je suis qui je suis ». Cela nourrit toutes les métaphysiques sur l’être immuable de Dieu. Certains ont même parlé « d’aséité », du fait que Dieu se suffise à lui-même. Cela encourage l’idée d’un être lointain, et pourquoi pas sur son nuage d’où il descendrait de temps en temps. Beaucoup de ces développements sur l’être de Dieu forcent mon admiration par la puissance de leur raisonnement. Oui, mais… ce texte nous est rapporté en hébreu, dont la grammaire n’est pas celle de la langue grecque, ni celle de la langue latine (proches de nos langues contemporaines occidentales). Il n’existe pas de présent en hébreu, mais juste un accompli et un inaccompli. De plus, le verbe être n’est employé qu’au sens fort de l’existence. Dans notre texte, ce verbe n’est employé qu’à l’inaccompli. Autrement dit, cette réponse de Dieu peut tout à fait être traduite par « Je suis qui je serai » (choix par exemple de la traduction de la TOB) ou même « je serai qui je serai » (choix de celle en français courant), ou encore (traduction personnelle libre) : « Je serai tel que j’existerai ».

Un Dieu soumis à l’existentialité et à la temporalité, et donc à ses aléas ? Je le crois. Mais alors Dieu peut-il disparaître ? Si l’on applique ce principe de la coexistentialité de Dieu et de l’univers, on peut se poser la question dans le cas où l’univers vivrait un Big Bang inversé. S’il est désormais prouvé que l’univers est en expansion, on a aussi observé sa perte d’énergie de moitié ces deux derniers milliards d’années. Une fin est donc possible, au fur et à mesure que les étoiles vont s’éteindre. C’est ce qu’on appelle la théorie du Grand Gel (Big Freeze en anglais), en plus de celle du grand effondrement (Big Crunch). L’hypothèse de sa disparition est donc posée. Si on applique le principe de coexistentialité, Dieu serait amené à disparaître. L’univers est, comme tout système en mouvement, soumis à l’entropie, c’est-à-dire la perte d’énergie. Mais, en même temps, si l’on affirme une existence d’un Dieu transcendant les pures lois de la nature (Dieu ne se limite pas à celle-ci) et capable d’infléchir le cours de l’histoire, on peut aussi formuler l’hypothèse d’une nouvelle forme d’univers. Dieu pourrait être alors de l’ordre de la « néguentropie », d’entropie négative, c’est-à-dire de système recréateur d’énergie. La question de la fin de Dieu, qui est purement théorique, n’est donc pas, pour moi, tranchée. Et, à vrai dire, elle ne m’obsède pas vraiment. Je préfère l’ici et maintenant, à la rigueur demain matin… Pour se concentrer sur aujourd’hui, comme nous l’avons plusieurs fois évoqué, on peut penser, à partir de ce principe, que Dieu lui-même est en expansion. Voilà un sujet d’espérance !

 

Don

Pour faire un don, suivez ce lien

À propos Jean-Marie de Bourqueney

est pasteur de l’Église protestante unie. Il est actuellement à Paris-Batignolles. Il est notamment intéressé par le dialogue interreligieux et par la théologie du Process.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Évangile et Liberté

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading