Schleiermacher est le théologien qui m’a le plus fait aimer la théologie. C’est lors d’une soirée d’introduction à sa pensée que je l’ai découvert et ce fut comme une révélation. J’ai eu l’impression de rencontrer quelqu’un, pourtant mort 150 ans avant ma naissance. Il n’y a rien de mort dans sa pensée, dans ses écrits, à travers lesquels on devine l’empreinte laissée par la foi dans une vie tourmentée. Même si, comme l’écrit Bernard Reymond dans ce dossier, lire Schleiermacher et le comprendre est exigeant, on peut accéder sans effort à qui il était. Peut-être est-ce parce qu’il était si poétique ? Deux extraits de ses Monologues devraient vous permettre de toucher qui il était. Un premier montre la place de la foi dans toute sa vie. « Commence donc, dès à présent, ta vie éternelle, en t’examinant sans cesse. Ne t’inquiète pas de l’avenir, et ne pleure point pour ce qui passe ; mais, songe à ne pas te perdre toi-même, et pleure, si tu t’abandonnes au fleuve de la vie, sans porter le ciel au-dedans de toi. » Un second fait sentir à quel point il accordait de l’importance à vivre pleinement la vie reçue de Dieu. « Ne sacrifie point, même par une fausse générosité, la plus faible partie de ton être ! »
Si ses Discours sur la religion sont, de loin, le livre qui permet de découvrir le plus facilement sa théologie, je ne peux pas évoquer Schleiermacher sans mettre en avant la dédicace qui précède ses Monologues. Ce sont ses lignes les plus émouvantes. Ce sont aussi les lignes qui parlent le mieux d’amour que j’aie pu lire. Elles sont, à mes yeux, extrêmement proches de ce que Martin Buber écrit sur la rencontre dans Je et Tu.
« De tous les présents que l’homme peut faire à son semblable, aucun n’est la preuve d’un attachement plus profond que la communication de ses entretiens avec lui-même au-dedans de son âme : un pareil don, en effet, lui dévoile le premier des secrets, puisqu’il lui permet de plonger, sans distraction, les regards sur l’intérieur d’un être libre. Aucun présent n’est plus réel : car, la joie que tu éprouveras, à la pure contemplation d’une vie à laquelle tu es ainsi lié, t’accompagnera toute ta carrière, et une vérité intime fixera ton amour, en sorte que tu trouveras un plaisir toujours nouveau à en faire l’objet de tes méditations. Aucun présent, enfin, n’est plus facile à préserver de la convoitise ou de la malice d’autrui : il n’y a là rien qui puisse attirer ou séduire quiconque n’a pas de droit sur lui, ou dont il soit possible d’abuser dans un but abject et mauvais. Quelqu’un jette-t-il un œil d’envie sur notre trésor, et cherche-t-il a t’en démontrer le peu de valeur, par des signes qui échappent à ton bon sens : oh ! alors puissent l’amère critique et la fade moquerie ne point t’enlever ce qui cause ta joie ! Et jamais je ne me repentirai de t’avoir fait part de ce que j’avais. Reçois donc ce présent, toi qui peux comprendre les accords mystérieux de l’âme ! Qu’il y ait une suave harmonie entre tes sentiments et les miens ! Que cette sorte de puissance magnétique qui te pénètre avec douceur, cette étincelle électrique qui te secoue, à l’approche de mon âme, devienne pour toi un stimulant, qui ajoute sans cesse de nouvelles forces à ta vie. » (F. D. E. Schleiermacher, Dédicace des Monologues
À lire l’article de Bernard Reymond » Ah, Schleiermacher ! «
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