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La construction de la tradition

Ce texte est issu d’un entretien accordé à Adrien Duclos

Le terme même de judaïsme pour désigner une religion analogue au christianisme, détachée de toute référence au peuple, au lieu ou à la nation est, selon Daniel Boyarin et d’autres, une invention moderne, issue d’un mouvement chrétien de création d’une anti-version de soi, puis de la modernité allemande. Cette conception chrétienne d’une religion où la sphère religieuse se définit par différenciation et opposition avec une sphère nationale et politique est source de beaucoup de confusions concernant la nature de la religion des Juifs.

Judaïsme rabbinique et christianisme forment à l’origine deux religions sœurs. Les écrits de cette période doivent être lus en gardant en tête leur contexte polémique, où les débats n’opposent pas que juifs et chrétiens, plusieurs courants s’affrontant au sein du peuple juif.

Le judaïsme se targue, plutôt que d’une ancienneté, d’une continuité, d’une tradition ininterrompue d’interprétations qui s’appuie sur son double canon (loi écrite et loi orale) : des midrashim, on tire une mishna qui en est une discussion et une codification juridique, elle-même analysée par la guemara, objet des discussions des théologiens médiévaux, et ainsi de suite. Il y a bien sûr des influences extérieures – ainsi, Maïmonide propose une théologie dogmatique inspirée par l’Islam. Mais la tradition juive a l’art de réintégrer ce qui peut paraître étranger et polémique. Des approches théologiques variées naissent et coexistent en paix grâce à un socle commun, le textocentrisme, et à l’emploi des mêmes outils d’analyse herméneutique et juridique.

Cette apparente continuité peut faire l’objet d’une critique historique : la révolution rabbinique a triomphé de ses alternatives (sadducéens, samaritains, karaïsme…) au point que cette réforme, parce qu’elle a réussi, ne se raconte pas elle-même comme une révolution mais comme une histoire continue, depuis Moïse au Sinaï jusqu’aux rabbins, effaçant les débats avec d’autres courants, préservant les polémiques internes et laissant aux historiens le soin de reconstruire une histoire plus complexe et accidentée.

 

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À propos Noémie Issan-Benchimol

est diplômée en Philosophie et Études Hébraïques de l’ENS Ulm et prépare une thèse à l’EPHE sur le serment judiciaire en droit talmudique.

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